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JEAN DE JOINVILLE

L’HOMME ET L’ÉCRIVAIN.

Le 25 août 1298, à Saint-Denis, en présence de tous les prélats et de tous les barons de France, on ouvrait le tombeau de Louis IX. Les archevêques de Reims et de Lyon soulevaient, pour la première fois, ces restes qui ne devaient plus reposer que sur les autels, et frère Jean de Samois, l’un des commissaires qui avaient, seize ans auparavant, dirigé l’enquête préliminaire à la canonisation, montait en chaire pour prononcer le panégyrique du nouveau saint. En énumérant ses vertus, il cita comme exemple de sa loyauté envers tous, même envers les mécréans, les scrupules de Louis IX lors du paiement de sa rançon. Le fait dont il évoquait le souvenir remontait à près d’un demi-siècle, à une époque où pas un des princes qui, alors qu’il parlait, sentaient couler dans leurs veines le sang de saint Louis n’était encore né, à un règne dont presque tous les témoins avaient disparu. Et pourtant, par un effet d’une saisissante simplicité, « ne croyez pas que je vous mente, s’écria-t-il, car je vois tel homme ici qui m’a témoigné de cette chose par son serment. »

Celui que le commissaire pontifical associait en quelque sorte à la gloire de cette journée, en faisant publiquement appel à l’autorité de sa parole, était un homme que saint Louis avait aimé, qui avait partagé ses souffrances et ses dangers, qui avait frôlé de son vêtement, touché de ses mains pendant la vie, porté dans ses bras durant la maladie ce corps désormais passé à l’état de reliques.