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« Mais ce qui m’a le plus satisfait, c’est le fruit que j’ai retiré de la connaissance que j’ai faite de M. Rosen, l’homme du monde le meilleur, le plus complaisant, le plus libéral, en un mot le plus exempt des défauts et quelquefois des vices qui déshonorent les gens de lettres, un vrai cœur d’homme avec un esprit et une tête de savant. Vous, qui le connaissez, ne serez pas surpris que j’aie reçu de lui toutes sortes de preuves d’amitié ; mais ce que vous apprendrez sans doute avec plaisir, c’est qu’après m’avoir prêté, pendant quelque temps, les quatre-vingt-seize premières pages de son Rig-Véda, que je lisais le soir, en en comprenant ce que je pouvais, il me les a plus tard offertes en don, en y joignant jusqu’à la page 124, pour que je les garde en France et que j’en fasse l’usage que je désirerai pour l’explication de mon texte zend. »

Enfin, voici son tour :

« Ce noble procédé, par lequel il s’est acquis des droits inoubliables à ma reconnaissance, m’a mis en possession d’une mine infiniment riche de renseignemens de tout genre, qui jettent le plus grand jour sur le fond et sur la forme du Zend-Avesta. Par exemple, tous les mots, sans aucune exception peut-être, que j’avais laissés sans en expliquer l’étymologie, se trouvent dans les Védas avec le sens que leur ont conservé les Parses. Le fameux apâm nappât est le Soleil ! Quand on verra cela, que dira-t-on de ma belle dissertation sur le Bordj ? Voilà une montagne changée en soleil ! Risum teneatis. Mais, après tout, cela m’est absolument égal, je ne tiens pas plus à mes opinions qu’à la plume avec laquelle je les écris ; quand la plume est mauvaise, je la taille, et tout est dit. »

III.

Burnouf n’avait alors que trente-quatre ans, et il avait mené à bonne fin le déchiffrement du zend ; son Commentaire sur le Yaçna, qui forme la première partie des textes sacrés écrits en cette langue, avait déjà rendu son nom célèbre dans toute l’Europe ; il était traité d’égal, consulté par les plus illustres savans, et sa parole faisait partout autorité. Dans ses déclarations si nettes et si franches, on sent plus que l’ardeur d’une conviction intime ; on y sent une grande modestie, jointe à cette autorité particulière que donne la pleine possession de soi-même. Les deux choses ne sont pas inconciliables. La modestie ne consiste pas à se diminuer et à se méconnaître soi-même ; c’est un sentiment profond de la grandeur de l’objet qu’on poursuit, qui porte à rendre justice aux efforts des autres pour l’atteindre et à ne pas prêter à sa propre