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supprimer. On ne se gêne pas pour désigner des hommes, des chefs d’industrie, des établissemens à toutes les représailles. Des députés eux-mêmes déclarent lestement que, si on ne donne pas aux ouvriers ce qu’ils demandent, ils le prendront par la force. Des déclamateurs qui ont perdu tout sens patriotique aussi bien que tout sens humain, et qui s’en vantent tout haut, ne reculent pas devant ce qu’ils appellent la propagande par le fait, — la propagande par le vol, par le meurtre ou par les explosions. C’est l’éternelle, la cruelle logique. On sème l’esprit de haine et de guerre, on récolte le crime, — et un jour ou l’autre, à Paris ou ailleurs, mais surtout à Paris, on voit éclater quelque monstruosité comme ce dernier attentat dont l’opinion est encore émue !

L’anarchie, depuis quelque temps, depuis ses sinistres exploits du mois de mai, n’avait pas fait parler d’elle, si ce n’est par ses déclamations et ses défis qui ressemblaient un peu à de la jactance. Elle vient de rentrer en scène à sa façon, à l’improviste, sicut fur, en faisant de nouvelles victimes, — et s’il y a une chose surprenante, c’est que cet attentat n’ait pas eu des suites plus terribles encore, par la manière dont il s’est accompli. Rien de plus bizarre, en effet. L’engin meurtrier, un vase de fer chargé de dynamite, soigneusement enveloppé d’un journal, est déposé on ne sait encore comment, on ne sait par qui, à la porte des bureaux de la compagnie de Carmaux, dans une maison de l’avenue de l’Opéra, au centre de Paris. Des agens de la maison s’en aperçoivent par hasard, sans rien soupçonner. Le vase mystérieux est descendu dans la rue, confié à quelques gardiens de la paix, transporté sans trop de précaution, à ce qu’il semble, au commissariat de police de la rue des Bons-Enfans, — et c’est là qu’il va éclater ! Il aurait pu tout aussi bien éclater entre les mains de ceux qui le transportaient, dans un quartier populeux encombré de passans à l’heure de midi ; ce n’est qu’à la rue des Bons-Enfans, dans les bureaux du commissaire de police que s’est produite la formidable explosion, mettant en morceaux quatre ou cinq modestes agens et un employé de l’administration de Carmaux, ébranlant la maison et jetant l’épouvante dans Paris. L’exploit anarchiste est complet, la propagande par le meurtre continue la propagande par les déclamations révolutionnaires ! — Il n’y a aucun lien, se hâte-t-on de dire, entre les agitations socialistes et un si horrible crime, entre la grève de Carmaux et la dynamite. C’est ce qui reste à savoir. On peut dire ce qu’on voudra, on peut surtout, on doit tenir à désavouer de tels forfaits quand ils éclatent. Ce qui est certain, c’est que ce dernier attentat était manifestement dirigé contre l’administration de Carmaux, contre son président, qu’il a été précédé de lettres de menaces et qu’il est comme le lugubre épilogue de ces deux mois de troubles, pendant lesquels on n’a cessé de pousser les esprits à la révolte, d’enflammer les colères, de désigner M. le baron Reille comme