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Beethoven, le sens est tout intérieur. En tête de la symphonie pastorale, Beethoven avait écrit : s’attacher plus à l’expression du sentiment qu’à la peinture musicale. La même épigraphe conviendrait, mieux encore peut-être, à la symphonie héroïque, la moins pittoresque des deux, où l’on ne trouve l’équivalent, ni de la scène au bord du ruisseau, ni de l’orage. C’est l’expression psychologique et non la description matérielle que Beethoven a presque toujours cherchée ici. Le maître, il est vrai, pour composer l’Héroïque, s’était inspiré du premier consul. Il avait même intitulé son œuvre Bonaparte, et le manuscrit porta quelque temps ce grand nom. Mais en apprenant la proclamation de l’empire, Beethoven arracha la première page et la jeta au feu. Ce n’était donc pas l’héroïsme guerrier ou du moins celui-là seul qu’il avait voulu traduire et glorifier : empereur, Napoléon n’en restait pas moins un grand homme de guerre ; mais, pour Beethoven, ce n’était plus le héros.

Le premier morceau de la troisième symphonie n’a rien de guerrier. Il est héroïque pourtant, mais à la manière du penseur de Michel-Ange, ce héros sans épée. Que trouvons-nous dans ce premier morceau ? Deux ou trois dessins ou mouvemens, pas davantage, dont il est fait tout entier. Après deux accords qui établissent péremptoirement le tempo et la tonalité, paraît le thème principal. Il tient en trois mesures et, comme le thème du grand air de Fidelio, ne consiste que dans les trois notes de l’accord parfait. Voilà le germe, la cellule, le « raccourci d’atome » sonore, d’où sortira cette chose, je dirais presque cet être sans pareil dans le monde de la pensée : une phrase musicale. Elle va se développer, se mouvoir, vivre, pleurer, lutter et vaincre devant nous. Dans cette première reprise, comme dans l’exposition d’une pièce de théâtre, figurent déjà presque tous les élémens du morceau : le thème capital, d’une assurance martiale ; des accords syncopés dont Beethoven tirera plus tard un merveilleux parti ; puis des brisés de doubles croches, boucles brillantes et vives, qui reviendront aussi tout à l’heure ; enfin çà et là, entre les fières affirmations du thème, quelques phrases de détente et de rémission, soupirs et sourires si touchans sur des lèvres sublimes, dans les symphonies de Beethoven comme dans les discours de Bossuet.

« Loin de nous les héros sans humanité, » disait le grand évêque devant la dépouille de Condé. Le héros de Beethoven n’est pas de ceux-là. Quelle humanité que la sienne ! Comme il est nôtre par l’épreuve, par le combat ! La seconde reprise à peine commencée, voici le thème initial qui revient, mais en mineur. Il entre dans une phase de tristesse et d’angoisse. Au lieu de