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rares, depuis le vieux cantique de Hændel : Chantons victoire ! jusqu’à certaines pages de Parsifal, en passant par le finale biblique du troisième acte du Prophète ? Certes, tout cela est beau. Mais Judas Macchabée est déjà loin derrière nous. Nous avons étudié ailleurs Parsifal[1] et, tout sublime que soit l’hymne du Prophète : Roi du ciel et des anges, il est peut-être d’une moins haute portée morale que le cinquième acte des Huguenots. Pour Jean de Leyde, il n’y va que de la victoire ; il y va du martyre pour Raoul, Valentine et Marcel.

Des trois héros, Marcel est le plus héroïque, Marcel, l’une des plus belles personnifications de l’idée religieuse dans la musique de théâtre. Une femme de génie crut rencontrer jadis l’admirable figure au cours d’un voyage en pays protestant. Dans un temple de Genève, George Sand un jour entendit des voix et « naturellement, écrivait-elle à Meyerbeer, ces chants imaginaires prirent dans mon cerveau la forme du beau cantique de l’opéra : les Huguenots… Et je vis debout cette statue d’airain, couverte de buffle, animée par le feu divin que le compositeur a fait descendre en elle, je la vis, ô maître ! pardonnez à ma présomption, telle qu’elle dut vous apparaître à vous-même, quand vous vîntes la chercher à l’heure hardie et vaillante de midi, sous les arcades resplendissantes de quelque temple protestant, vaste et clair comme celui-ci[2]. »

Dès le début de l’opéra, Meyerbeer a posé le personnage dans une attitude héroïque. Rappelez-vous la première apparition de Marcel. Annoncé par un grondement de contrebasses, il vient, le chapeau sur la tête, sur sa tête balafrée. Il passe le seuil de la salle de fête et dans le festin renaissance, parmi le choc des gobelets d’or, il jette sa rude apostrophe. Sur l’ordre de Raoul, il se tait d’abord, mais du maître humain il en appelle au maître divin qui, lui, le laissera parler : Comment le sauver de leurs bras ? .. cri sublime d’angoisse devant la perdition de l’enfant bien-aimé. Ah ! viens, divin Luther, pour le sauver du mal ! Des hoquets de contrebasses, pulsations de ce pauvre vieux cœur inquiet, entrecoupent le récitatif jusqu’à l’explosion des cuivres sur le mot : Seigneur ! seul nom devant lequel Marcel se découvre et s’incline. Sans un regard pour l’orgie méprisée, le vieux soldat s’enfonce dans sa prière : Seigneur, rempart et seul soutien ! Le choral s’élève, rigide et nu, symbole de la réforme, « cette forte idée sans emblèmes[3] », rempart véritable entre le monde et la foi.

(1)

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1887.
  2. Lettres d’un voyageur.
  3. George Sand.