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L'HEROÏSME DANS LA MUSIQUE[1]

Après nous avoir parlé de Dieu, de la nature et de l’amour, ou plutôt après les avoir chantés tous trois, il semble que la musique n’ait plus rien à nous dire. Une dernière fois pourtant nous revenons à elle, parce qu’il reste en nous un sentiment, ou mieux un ordre de sentimens, dont elle garde, peut-être plus que les autres arts, l’interprétation privilégiée. C’est l’héroïsme. Sur cette région de notre âme, les pires détracteurs de la musique n’en ont jamais contesté ni calomnié l’influence. Après avoir écrit contre la musique tant de pages impertinentes ou injustes ; après l’avoir maudite comme magicienne et sorcière, ennemie de toute activité et de toute liberté morale, ils se sont repentis et rétractés. Ils n’ont pu refuser leur hommage à la vierge guerrière, inspiratrice du courage, ouvrière de victoire, gardienne ou vengeresse de la patrie. Devant la musique héroïque, un de Laprade même s’est incliné, se souvenant de Tyrtée et de Rouget de l’Isle. Nous rappellerons, nous, bien d’autres souvenirs, et ce mot si grand d’héroïsme, nous tâcherons de le grandir encore. L’héroïsme dans la musique, ce sera la valeur militaire d’abord, mais non pas celle-là seulement. Nos héros ne se distingueront pas uniquement par des succès extraordinaires à la guerre, mais par une force de caractère, une vertu, une grandeur d’âme peu commune. La guerre est la plus fameuse, mais non l’unique école de l’héroïsme. La religieuse qui se jeta naguère au-devant d’un chien enragé et lui livra ses deux poings pour sauver des enfans confiés à sa garde, égala les plus grands capitaines et la marche funèbre de Beethoven aurait pu se jouer devant son cercueil. Il y a plus : l’héroïsme n’exige ni le

  1. Voir la Revue du 15 septembre 1887, du 1er février et du 15 septembre 1888