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de la flotte, Puerto-Cabello. Bien qu’il affectât une confiance qu’il n’avait pas et qu’il s’efforçât de donner le change à l’opinion publique, Mendoza ne pouvait plus se faire d’illusions. Les vivres devenaient rares dans la ville, dont le trafic avec la Guayra, son port d’approvisionnement, était interrompu. La viande se vendait 5 francs la livre, la farine, 250 francs le quintal. L’argent manquait, le trésor public était vide. Pour le remplir, Mendoza avait recours à des emprunts forcés, taxant arbitrairement la population, rançonnant les négocians, auxquels il imposait des versemens de 1,000 à 100,000 francs, suivant leur fortune présumée, exigeant des agens locaux des riches hacienderos, de Guzman Blanco et de Crespo, de Rojas Paul et de Palacio lui-même des sommes de 250,000 à 700,000 francs, emprisonnant les consuls étrangers qui protestaient contre ses exactions, emplissant ses poches, affirmaient ses ennemis, pendant que ses rivaux et ses collègues négociaient des conventions par lesquelles, à son insu, ils se partageaient les emplois lucratifs et les dernières ressources de l’État : à Villegas, la légation de Madrid ; à Julio Sarria, 250,000 francs et le droit de désigner un ministre ; à Domingo Monagas, 250,000 francs et le privilège de nommer les directeurs des douanes de Campano, Barcelona, Cumarra et Guigue ; à Alejandro Ybarra, la légation des États-Unis ; à Giuseppe Monagas, le gouvernement de Caracas. Quand un hasard le mit au courant de ces conventions dans lesquelles son nom ne figurait même pas, Mendoza mit, prétend-on, son butin à l’abri, gagna en hâte la côte, d’où, deux jours plus tard, une goélette le débarquait à Curaçao, classique lieu de refuge des politiciens vaincus du Venezuela.

Pendant ce temps, sourd à toutes propositions d’arrangement, même à celles que lui faisait tenir Rojas Paul, Crespo, refusant sa part des dépouilles et n’ayant pas encore dit son dernier mot, marchait, à la tête de ses vétérans, sur Caracas, mal défendue par quelques milliers d’hommes démoralisés et qui encourageait de ses acclamations le soldat heureux dans lequel elle voyait son libérateur et le restaurateur des libertés du Venezuela. Sous les murs de la capitale, il apprenait que ses troupes victorieuses, commandées par ses lieutenans Hernandez et Gill, étaient maîtresses de Ciudad-Bolivar et de tout le cours de l’Orénoque. Sans coup férir, il occupait la Guayra dont les habitans lui ouvraient les portes, le suppliant de les protéger contre la populace qui menaçait de piller les entrepôts. L’ordre rétabli à la Guayra, il achevait de briser, à Los Tequès, les derniers et impuissans obstacles que ses ennemis lui opposaient. Le 9 octobre, il entrait dans Caracas où Rojas Paul venait s’excuser auprès de lui d’avoir un instant douté de son succès et prêté l’oreille à des tentatives d’accommodement. Accueilli