Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’accès et, comme telle, plus facile à défendre, Caracas n’est pas, ainsi que Valencia, à la merci d’un coup de main. La vallée de Valencia s’ouvre largement au sud et vient mourir dans une vaste plaine. C’est à l’orée de cette vallée que Palacio concentra ses troupes, appuyées sur la ville et face à l’ennemi auquel elles barraient la route.

La bataille s’engagea le 1er juin, au lever du soleil, et dura trois jours, vaillamment disputée de part et d’autre. Le premier jour, le résultat demeura incertain ; le second, l’avantage parut se dessiner in faveur des bataillons de Palacio ; les troupes insurrectionnelles faiblissaient ; vers le soir, les efforts de leurs chefs les rallièrent et, par un vigoureux mouvement en avant, elles reprirent le terrain perdu. Sur toute la ligne on se battit avec acharnement ; les Indiens, jetant leurs fusils, se ruaient, armés de leurs machétés, « qui, disent-ils, ne manquent jamais leur homme, » sur les soldats de Palacio et les firent reculer, non sans laisser bon nombre des leurs sur le terrain. La journée du 3 fut décisive, « Ce jour-là, écrit un témoin oculaire, l’impétueuse offensive des métis et des Indiens causa, dès le début, un certain ébranlement dans les rangs de leurs adversaires. Bravant un feu meurtrier, les Indiens abordèrent l’ennemi, le machété au poing, soutenus par les tirailleurs et par les Llaneros déployés sur les ailes, lançant à fond de train contre les bataillons leurs mustangs à peine domptés. Le coup d’œil était terrifiant et bien propre à ébranler les nouvelles recrues de Palacio. Sous ce choc, elles faiblissaient. Crespo le vit : faisant donner ses réserves, il intima l’ordre de charger sur toute la ligne. L’attaque fut irrésistible ; les Indiens, à demi nus, poussaient des cris sauvages, brandissant leurs coutelas, étincelans au soleil, et dont chaque coup abattait un homme. Vainement les généraux de Palacio, se jetant au plus fort de la mêlée, tentèrent de raffermir leurs soldats, ils cédaient pied, et les Llaneros faisaient dans leurs rangs de larges trouées. Une panique éclata, suivie d’une débandade précipitée ; sabrés par les cavaliers, serrés de près par les Indiens, les fuyards ne s’arrêtèrent que sous les murs de Valencia dont l’artillerie les couvrait. »

La partie était perdue pour Palacio. Ses meilleurs soldats restaient sur le champ de bataille ; la prise de Valencia n’était plus douteuse, et Crespo ne la retardait que pour sauver la vie d’Ybarra d’une part et pour ne pas livrer la ville aux horreurs du pillage. Caracas s’agitait, frémissante, sous la main du dictateur que ses partisans abandonnaient et qui tentait, une dernière fois, de négocier. Il offrait, disait-on, à Crespo, une forte somme d’argent pour l’indemniser de ses pertes personnelles ; il s’engageait à se démettre