Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

route. Il réussit, après un combat acharné, aies rejeter sur Acarigua, mais, au matin, les insurgés, renforcés dans la nuit par des contingens venus de Lara et par cinq cents Llaneros amenés par Manzano, lieutenant de Crespo, reprirent l’offensive, refoulèrent Polanco et vinrent camper à 12 kilomètres de Valencia, capitale de l’État de Carabobo, l’une des plus importantes villes du Venezuela et peuplée de 40,000 habitans.

Les légalistes y comptaient de nombreux partisans, mais Palacio y avait concentré des forces importantes, Valencia étant reliée par un chemin de fer à Puerto-Cabello, son port au nord, occupé par les troupes gouvernementales, et à Caracas, qu’elle couvre à l’ouest. On y achemina en toute hâte des renforts de la capitale pour prévenir la jonction, que l’on redoutait, des bataillons de Manzano et de Crespo. Il importait, en effet, et par-dessus tout, d’empêcher l’insurrection d’occuper un point de la côte. Les hommes affluaient, mais les armes faisaient défaut au camp de Crespo, et lui-même hésitait à lancer ses Indiens et ses métis avec leurs machétés contre les fusils à tir rapide des troupes régulières. Aussi longtemps que les légalistes, coupés de la mer, ne pouvaient recevoir les envois d’armes que l’on cherchait à leur faire tenir de l’Ile de Curaçao, ils ne constituaient qu’un ramassis de volontaires, condamnés à une lutte de guérillas, hors d’état d’engager une action sérieuse et d’aborder en rase campagne des bataillons disciplinés. Crespo le savait, et tous ses efforts, ses marches et contremarches n’avaient qu’un objectif : s’ouvrir un chemin vers le nord, déboucher sur un point quelconque du littoral.

Valencia à l’ouest, Caracas à l’est, lui fermaient la route. Mettant donc en avant le peu de vétérans bien équipés dont il disposait, utilisant sa cavalerie pour de rapides incursions, il rétrécissait le cercle autour de Valencia, n’osant l’attaquer de front, cherchant à la prendre à revers et, bien inspiré, poussant ses avant-gardes sur Polito, station de la voie ferrée qui relie Valencia à Puerto-Cabello. Un coup de main pouvait lui livrer cette petite ville, dont la prise isolerait Valencia de son port. Il décida de le tenter avec ses Indiens.

Mora les commandait. Métis, de sang nègre et indien, il avait fait ses preuves de bravoure et aussi de férocité, sous les ordres de Guzman Blanco. Quand la guerre civile éclata, il vint avec ses Zambos se ranger aux côtés de Crespo. Rusé comme un Indien, il excellait dans l’art de dresser des embûches, de déconcerter l’ennemi par ses feintes, dangereuses pour lui-même avec d’autres hommes que les siens, mais il les connaissait et savait ce qu’il en pouvait attendre. Abritées derrière des retranchemens élevés en