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insurgés. Toutes les recherches faites pour découvrir l’auteur de l’attentat furent inutiles. On ne douta pas qu’il ne se cachât dans Caracas même, où l’inquisition de la police devint plus intolérable encore. Rien n’établit d’ailleurs que Crespo fut l’instigateur du crime ou qu’il en eut connaissance avant l’exécution.

Le premier choc entre les volontaires et les troupes de Palacio eut lieu près d’Ortiz, au sud-ouest de Caracas, le 1er avril ; ce ne fut qu’une rencontre fortuite entre une colonne de renfort en marche pour rejoindre Crespo et les détachemens commandés par le général Rodriguez. De part et d’autre les pertes furent peu considérables, mais le général Rodriguez fut contraint de se replier, de laisser le passage libre à la colonne qui, longeant le cours de l’Orénoque, s’empara de la canonnière la Nueve de Julio, stationnée à Esmeralda.

Rien ne ressemble moins à nos guerres savantes que ces campagnes dans lesquelles le choc de quelques milliers d’hommes décide du sort de provinces aussi grandes que certains de nos États européens. Au début : incursion de guérillas tourbillonnant comme des nuées dans les grandes plaines solitaires, disparaissant ici pour reparaître là, s’attaquant aux convois, se cantonnant dans les brousses ou sur les hauteurs ; plus tard : colonnes volantes, mieux armées, mieux aguerries, semant la terreur sur leur passage, intrépides à l’attaque, habiles à se dérober, expertes dans les ruses de la tactique indienne, excellant dans l’art de tendre des pièges, de dérouter l’ennemi par leurs feintes, de l’attirer hors de ses retranchemens. Puis enfin, à mesure que le champ se circonscrit, que l’objectif se dessine, ces corps épars se fondent en un tout dans lequel l’individualité subsiste sous l’apparente homogénéité, dans lequel la variété des modes de combat persiste en l’unité d’action. Ce ne sont que des corps d’armée, mais des corps d’armée redoutables par l’audace, le mépris de la mort et l’instinctive férocité. On comprend, en les voyant à l’œuvre, comment, lors des guerres d’indépendance, leur ténacité finit par avoir raison des solides bataillons espagnols, déconcertés par leurs brusques attaques et leurs luttes corps à corps.

Le léger succès d’Ortiz, grossi par la rumeur publique, accentua le mouvement insurrectionnel. Illas, gouverneur de l’Etat de Zamora, fit publiquement acte d’adhésion, appelant la population aux armes et l’invitant à se joindre à Crespo. Six cents hommes d’infanterie et sept compagnies de cavalerie répondirent à cet appel et se mirent en marche pour rallier le quartier-général de Crespo établi à Carabobo, à 100 kilomètres à l’ouest de Caracas. Polanco, qui commandait les troupes gouvernementales, leur barrait la