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à la sortie des señoritas, aux traits fins et délicats, encadrées dans leur mantille, et saluées au passage de murmures discrets : Que buena moza ! Que bonila ! Que sîmpatica ! et aussi les controverses brillantes dans les frais patios, sur la plaza Bolivar, dans les bureaux de rédaction des journaux, ou sous les galeries de la casa Amarilla qui est, à Caracas, ce qu’est la Maison-Blanche à Washington. À Caracas, cependant, comme ailleurs, on rencontre des hommes de réelle valeur et de véritable savoir. Le Venezuela leur doit beaucoup, et leurs »oms sont connus en Amérique comme en Europe. Nous entendons parler ici de la classe des politiciens de profession auxquels la république n’est redevable que des révolutions fréquentes qui entravent ses progrès et retardent sa marche.

Très nombreux, les métis se subdivisent en métis des villes et métis des campagnes. Les uns et les autres sont actifs ; les premiers trafiquent et travaillent, ils sont hommes de peine et hommes d’équipe, déchargeurs et marins dans les ports, bons soldats toujours, domestiques, revendeurs, artisans ; ils font tous les métiers ; ils sont dociles, sociables et gais, indifférens aux choses de la politique, n’y intervenant que pour se battre, sous les ordres d’un chef qu’ils connaissent, qui les recrute et les entraîne. Ils sont ici ce que sont les peones au Chili, même bravoure et aussi même férocité, quand leurs instincts sauvages sont déchaînés.

Tout autre est le métis des campagnes, le Llanero, l’homme des plaines, type original, rappelant le Bédouin d’Afrique, le Gaucho des Pampas, le Peau-Rouge des prairies américaines. Véritable centaure, il vit, comme eux, à cheval, n’ayant pour toutes armes que le lasso et la redoutable machété dont il manie avec dextérité la lourde lame tranchante, à la fois sabre, hache et couperet. « Cette race de pasteurs, qui vient de jouer un rôle important dans la récente insurrection, a été bien décrite par Mme J. de Sassenay[1]. « Le Llanero, écrit-elle, est doué en général d’une agilité et d’une force remarquables. Son teint est brun foncé, sa taille peu élevée, sa constitution des plus vigoureuses. Il y a en lui un curieux mélange de sang africain, espagnol, indien, voire chinois, assez difficile à analyser. Ennemi acharné des innovations, se sentant à l’étroit dans les villes, jouissant des grandes scènes de la nature, avide d’émotions fortes, l’homme des plaines est peu sociable, recherche la solitude, construit sa cabane près de quoique groupe d’arbres, dans les endroits les plus sauvages. Là, il trace son corral, où il fera rentrer le soir son nombreux troupeau. Passionné de musique, il se repose des fatigues du jour en jouant de sa

  1. Souvenirs du Venezuela, 1 vol. in-8o ; E. Plon et Cie.