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d’argent, coûteux à fabriquer et coûteux à transporter, à la masse des écus de même sorte qui dorment dans les caisses des deux mondes ; et à qui ferait-on accepter ces nouveaux écus, lorsque personne ne veut plus des anciens ?

On insiste et l’on dit : l’argent n’a pas perdu de sa valeur au regard des marchandises ; il ne se déprécie que par rapport à l’or dont la puissance d’acquisition s’accroît de plus en plus, à cause de sa raréfaction. La production de l’or a diminué ; elle est devenue insuffisante pour les besoins de l’humanité ; elle prépare une catastrophe. Il faut donc, à côté de l’or, rétablir l’argent dans ses anciennes fonctions. Est-il vrai que la production de l’or diminue ? M. Goschen l’a dit, dans un mémoire, il y a une douzaine d’années ; M. de Laveleye l’a répété dans un gros livre, et on le redit en chœur. Il est exact que la production de l’or s’est affaiblie pendant quatre ou cinq ans à partir de 1879, et les deux hommes éminens que nous citons ont cru, avec une imprudente précipitation, que le mouvement décroissant était définitif et qu’il ne s’arrêterait plus. La production de l’or s’est relevée ; elle se maintient et elle semble même en progrès. D’après M. Leech, directeur de la Monnaie des États-Unis, la production de l’or, de 140,555 kilogrammes en 1886, serait arrivée à 188,531 kilogrammes en 1891. Un spécialiste, qui s’est beaucoup occupé de la question des métaux, M. Ottomar Haupt, évalue les espèces d’or frappées dans les diverses monnaies du monde à 494 millions en 1886, à 650 millions en 1887, à 702 millions en 1888 et à 879 millions en 1889. On voit que le progrès est constant. D’après le même écrivain, les encaisses or des banques européennes et de la trésorerie des États-Unis auraient été ensemble de 6,402 millions en 1889 et de 6,914 millions en 1890 ; et les sept premiers mois de 1891 les auraient accrues encore de 700 millions. Au 30 juin 1892, les encaisses or de toutes les banques européennes étaient encore en progrès ; nous ne croyons pas nécessaire de reproduire le tableau qui le constate et qui a été dressé à la Monnaie de Washington d’après les bilans officiels : nous nous contenterons de citer la Banque de France qui avait 1,586 millions d’or, la Banque impériale de Russie qui en avait encore davantage, 1,650 millions ; les Banques d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande en avaient ensemble 800 millions, et la Banque impériale d’Allemagne en avait autant. Ces chiffres permettent de dire que l’humanité ne marche pas vers une disette de monnaie d’or. Ce ne sont pas les banques seulement qui sont mieux pourvues d’or que par le passé. La Banque d’Angleterre estime que les espèces d’or, aux mains des particuliers, se sont élevées de 90 millions sterling, en 1858, à