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entrés dans la circulation pour plus de douze cents millions. Joignez-y les récépissés de dépôts d’or, qui offrent les mêmes facilités, et les billets des banques d’émission, et vous constaterez que les États-Unis emploient simultanément quatre circulations fiduciaires, représentant ensemble plus de cinq milliards, tandis que leur circulation d’écus d’argent, de leur plein gré et par l’effet de leurs préférences manifestes, ne peut arriver à dépasser trois cents millions, soit 5 francs par tête. Devant ces faits et ces chiffres, est-il possible de prendre au sérieux les propositions américaines ? Y a-t-il là autre chose, comme l’indiquait M. Luzzatti, qu’une tentative pour se décharger sur l’Europe de la masse d’écus créés par des frappes inutiles et imprévoyantes ?

On fait valoir, à l’appui des propositions américaines, les considérations les plus diverses et les plus contradictoires. On entend dire, dans certains comices agricoles : « Il faut relever la valeur de l’argent pour que la France ne soit plus inondée de blés qu’on achète dans l’Inde, au prix d’un métal déprécié et qu’on peut revendre à bas prix sur le pied de l’or, parce que l’écart entre les deux métaux constitue à lui seul un bénéfice suffisant. » Or, les états de la douane ne contiennent aucune trace de cette prétendue inondation : les blés de l’Inde ne représentent pas plus de 4 à 5 pour 100 de nos importations de céréales. Les cultivateurs allemands tiennent le même langage au sujet des blés russes : là c’est la baisse du rouble-papier et ses constantes variations qui rendraient faciles des spéculations au préjudice de l’agriculture germanique. On leur a accordé l’établissement d’un droit sur les blés étrangers, auquel M. de Bismarck s’était toujours refusé. Nos voisins ont un autre grief : ils font remarquer qu’avant 1873, la circulation allemande représentait 15 marks par tête et qu’elle n’est plus aujourd’hui que de 10 marks 1/2. Cela ne leur semble pas suffisant, et M. de Bismarck semble avoir reconnu lui-même cette conséquence de la précipitation mise à retirer et à démonétiser les florins de l’Allemagne du Sud et les monnaies de la Saxe, de Hambourg, de Lubeck et du Mecklembourg, car il lui est échappé de dire, un jour, au Reichstag, au sujet de la question monétaire, qu’il avait « laissé la couverture trop courte. » Du reste, le gouvernement allemand ne songe point à modifier sa politique monétaire : il s’est contenté de remettre peu à peu en circulation une partie des thalers qu’il n’a pas encore fondus et qu’il ne saurait vendre à un prix avantageux.

La baisse des prix, dont on se plaint et qu’on exagère, car elle ne porte que sur un très petit nombre de produits, est-elle imputable à une surproduction ? Les uns l’affirment, d’autres le nient.