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vous refusez à me payer, malgré les poursuites que j’ai opérées pour le remboursement dudit argent.

Je me vois obligé de la recouvrer par le moyen de la presse, puisque vos sollicitations, vos gémissemens et vos bassesses auprès de votre compère le ministre de l’intérieur ont empêché l’exécution des ordres judiciaires dictés contre vous.

La Paz, setiembre 24 de 1891.

(Signé) : C… M…


Bientôt nous commençons à rencontrer des files d’Indiens qui, venus de différentes directions, convergent toutes vers le même point. C’est partout l’annonce certaine de l’approche d’une ville importante.

En tant qu’animaux, les caravanes sont composées d’ânes et de mules chargés principalement du précieux produit dont le nom nous est aujourd’hui familier, la coca. D’autres fois, ce sont des troupeaux exclusivement formés de lamas, bêtes au long cou peu flexible, au regard fixe, à l’air sot et fier. On ne peut leur imposer qu’une faible charge. Les anciens Péruviens ne connaissaient pas d’autre animal de transport.

Les Indiens, meilleurs marcheurs que les plus infatigables quadrupèdes de la troupe, suivent leurs bêtes à pied. Vêtus d’un manteau percé d’un trou où l’on passe la tête et dont les plis obliques retombent autour de l’individu à la manière d’un parapluie à demi-fermé, les pieds nus ou reposant sur des sandales de cuir, le crâne protégé par une coiffe que recouvre encore le chapeau de feutre rond, ils témoignent, ainsi que d’autres peuples de climats modérément froids, de préoccupations douillettes à l’égard du chef et d’une complète indifférence pour les extrémités. À la ville, ce costume se modifie chez les élus qui remplissent les plus hautes fonctions auxquelles la médiocrité intellectuelle aymara puisse aspirer, celles de domestique de bonne maison, et fait place au pantalon à jupes courtes, à la veste courte et au bonnet des fous de nos anciennes cours, à languettes effilées le long des oreilles, couronnant la face d’un Triboulet couleur de pain d’épice. Ces anciens seigneurs de la contrée sont résignés, doux à l’état normal, taciturnes, archéologiquement sympathiques, mais réduits par la servitude à une absolue misère pécuniaire et morale. On chercherait vainement à s’expliquer leur dégradation présente, que quelques siècles à peine séparent d’un état dont les historiens et les écrivains se sont plu à fixer le souvenir en traits d’or, si on n’avait présens à la mémoire les traitemens qu’ils ont subis.

« Ils pénétraient dans les villages et ne laissaient pas un enfant, un vieillard, une femme enceinte ou nouvellement accouchée,