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que les flancs de ces collines, et leurs crêtes sont couronnées d’une infinité de pierres debout d’un à deux mètres de haut, rappelant cette montagne des Mille et une Nuits toute hérissée de blocs de granit qui provenaient de la métamorphose lapidaire des hommes assez légers pour avoir cédé à la tentation de regarder derrière eux, au cours de l’ascension.

À une heure, nous atteignons Vincocaya (4,365 mètres d’élévation). C’est une station de trois maisons en planches dont la plus grande s’intitule hôtel. On remarque dans l’unique salle de l’hôtel un comptoir et des murs recouverts de toutes sortes d’enluminures et de pancartes. Le Calendario de Arequipa, édité sur une vaste feuille d’un méchant papier sans consistance, imprimé avec des caractères écrasés, pleins de bavures et de triangles blancs introduits dans le corps du texte par la présence d’un pli au moment de l’impression, enjolivé de vignettes pieuses, par son aspect comme par sa rédaction, éveille l’antique souvenir de ces produits d’une littérature populaire spécialement créée pour les paysans, qu’on voyait dans nos campagnes il y a une trentaine d’années, à l’époque où les chemins de fer n’avaient pas encore transformé des habitudes et des industries entretenues depuis des siècles : portraits de nos gloires nationales, ecclésiastiques, civiles et militaires, accompagnés de leur légende, qu’on collait aux murs, ou messager boiteux cousu en livret, qu’on retrouvait pêle-mêle avec les bouchons et les couverts dans le tiroir d’armoire du fermier négligent, ou soigneusement rangé, dans le compartiment réservé aux instrumens de couture de la ménagère. Documens gravement épelés par les vieux avec le secours des lunettes à gros verres ronds, sous la direction du doigt suivant les lignes et avec le contrôle de la lecture opérée à mi-voix, l’oreille étant chargée, par l’intermédiaire de la parole, de transmettre à l’entendement les découvertes que la vue réalisait dans l’étonnant grimoire ; ânonnés par les gamins aux heures de désœuvrement et honorés de la foi de la famille en tant que chose imprimée ; enserrant dans un style naïf, à la portée de ses lecteurs, conçu par quelque ancien paysan parvenu au grade de lettré, entre une histoire de brigands et une anecdote comique accessible à la lucidité du sphinx campagnard, des connaissances encyclopédiques, des notions sur les choses passées ou lointaines, destinées à agrandir pour une minute l’horizon resserré du village avec son clocher pour centre et le champ de labour pour limite. Tel, l’almanach d’Arequipa, après avoir donné aux lecteurs clairsemés de la pampa de Vincocaya la biographie des principaux saints et des plus notables généraux du pays, leur inculquait par surcroît quelques élémens de géographie en leur présentant, sous une