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immédiatement sentir. Il fait très bon, un peu frais. C’est la température d’Arequipa, sans grande variation de l’hiver à l’été. La place est à 2,360 mètres d’altitude, et à cette hauteur, la stabilité du climat est déjà établie.

La ville prend un commencement d’animation. Les Indiens font gravir le pavé à leurs ânes, et sur les portes se montrent les cholas avec leurs chapeaux panama et leurs énormes robes aux couleurs vives, orientales, africaines, jetées sur une couche de jupes superposées ; crinolines de plomb aussi lourdes que celles ornées d’argenteries et de verroteries qui habillent les madones parées en idoles dans les églises du pays.

Les cholas (un cholo, une chola) sont des métisses de blancs et d’Indiens qui composent une bonne partie de la population féminine de la ville. En général, plus elles s’éloignent du sang indien, mieux elles sont.

Est chola celle qui en arbore les voyans atours. Le teint offre une telle échelle de nuances, un peu dans tous les rangs ; il est si simple de dissimuler sous une épaisse couche de fard le bistre suspect du visage, que, pour devenir dame, il suffit d’abdiquer le chapeau rond et la pesante robe évasée pour adopter la mante. On est alors dite de traje, de costume (civilisé). Et on rentre dans la bonne société.

Maintenant, nous traversons la campagne d’Arequipa, verte et plate, mais avec un horizon de montagnes, dont le colossal Misti. Des arbres partout ! Nous n’en reverrons pas d’ici à La Paz.

À sept heures moins le quart, la locomotive s’ébranle. C’est dans le wagon le même public que la veille, aux visages près, et encore en remarqué-je un ou deux de connaissance. Il y a probablement dans le nombre quelques voyageurs pour cette fuyante La Paz, à la rencontre de laquelle je marche depuis quatre-vingts jours déjà.

Le costume de chacun témoigne d’un luxe de précautions contre le froid. Gants fourrés, épaisses couvertures fournies par les animaux de la région même, tout l’équipement de gens habitués pour la plupart à de chaudes latitudes qui vont être exposés aux morsures de la température de zéro. On pourrait se croire dans le salon d’un navire faisant voile vers le pôle. Et nous sommes en pleine zone torride, pas plus éloignés de l’équateur que la brûlante Tombouctou !

Ainsi qu’au sortir de Mollendo, le train parcourt avec légèreté une campagne à peu près horizontale. Mais il se livre encore moins de temps que la veille à ce travail facile. L’ascension recommence par des montagnes plus abruptes où de profonds ravins bordent