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salle est pleine de trois galons et de quatre galons balmacédistes qui festinent bruyamment et même se débraillent un peu au voisinage du dessert, tournent à la garde prétorienne.


Deux jours après, nous sommes à Valparaiso, en compagnie d’une quantité de navires, dont pas mal de guerre, vu les événemens.

Nous prenons position tout à côté d’un torpilleur, effilé comme un requin. C’est le Lynch, celui qui vient de couler le Blanco-Encalada.

Nous sommes proches d’une extrémité de l’immense croissant que figure Valparaiso, en face d’une série de constructions uniformes et ternes. C’est la douane. Un peu plus haut, sur un rebord de la montagne à paroi verticale où s’appuient ces bâtimens, une rangée de canons, le cou tendu, regardant venir. Plus haut encore, sur le sommet gazonné où les objets deviennent tout petits, une espèce de fort. C’est l’école navale. Les locataires ordinaires sont en ce moment dans le nord, en train de se concerter sur la manière de rentrer por la razon o la fuerza, car cette devise a cela de pratique qu’elle peut servir à chacun et qu’elle s’adapte à tout. On distingue, au pied du fort, les occupans actuels, de minuscules soldats évoluant avec d’imperceptibles mouvemens, pareils à un bataillon qu’on s’amuserait à regarder par le gros bout de la lunette. Les sabres se découpent en clair sur les uniformes, comme ceux des petits soldats de plomb, et semblent tout aussi inoffensifs. À cette distance-là, on ne songe pas que ça puisse faire mal. Le clairon sonne, grêle, mais net comme un chant de moucheron. Des symphonies confuses, sans emplacement précis, flottantes, qu’un souille d’air apporte et remporte, lui répondent de partout. Tout à la guerre !

Valparaiso a été construit avec une grande entente de la mise en scène. Il n’a que 110,000 habitans, mais produit bien plus d’effet que son chiffre. Il s’étale le long d’un cirque d’assez hautes montagnes aux pentes adoucies et renflées en coteaux, et la grappe circulaire des maisons s’arrondit, s’arrondit. Même de très loin, il faut tourner sur soi-même pour la suivre jusqu’à l’autre extrémité.

De près, l’impression avantageuse se confirme. C’est une ville superbe, bien qu’on n’y voie ni grands ni beaux édifices comme dans les centres importans d’Europe. Il manque encore à Valparaiso des boulevards, de larges places ; mais c’est là un luxe interdit aux villes en hauteur. Et celle-ci rentre si bien dans cette catégorie, que, dans les quartiers élevés, il y a des ascenseurs, publics comme nos omnibus et payans comme eux. Malgré ces desiderata, c’est