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vêtemens accrochés, tous les corps suspendus décrivant avec les parois de larges angles incessamment ouverts et fermés, déviés en apparence de la verticale. Dans le salon empli d’un fracas d’artillerie, où l’ennui de l’étroite couchette chassait parfois, au milieu de la nuit, un passager fatigué de poursuivre le sommeil, le jeune chat du bord qui avait élu dans cet appartement son domicile nocturne, allant et venant, dans une promenade d’acrobate, sur le dossier articulé de la banquette dressée au repos contre la longue table à manger, prenait le fantastique d’une apparition de rêve. Et les yeux mal éveillés se demandaient s’il n’était pas l’âme du songe, dont les images décousues, les idées sans logique, ont été comparées aux notes de hasard que fait résonner sous ses pattes un chat errant sur le clavier d’un piano.

Il paraît que nous avons la presque certitude du beau temps pour tout le reste de la traversée, sauf dans la rade de Valparaiso, où la mer a des caprices de jolie femme espagnole.

Punta-Arenas étant considéré comme une colonie, bien que situé au bout de l’interminable bande qui, sans solution de continuité constitue le territoire du Chili, le premier port du pays où nous abordons, le 15 mai au matin, est Lota.

C’est une petite ville à l’état naissant, dans le genre de celles qu’on découvre dans l’Amérique du Nord, la patrie des cités-champignons ; quelques centaines, de maisons de bois, pour la plupart à un étage, dessinant des rues larges et droites partant toutes d’un square décoré du nom de Plaza de Armas. À quelque distance, au pied de la montagne, on voit les grands fonderies de cuivre qui, avec le charbon, sont l’industrie de Lota.

Le Chili est le pays du globe le plus riche en cuivre. Mais les mines ne, gisent pas à Lota même. Le minerai est apporté de plus loin, par bateau, et coulé en saumons grossiers destinés à une épuration ultérieure. La fonderie est certainement intéressante. On y contemple le tableau de couleur infernale que composent forcément des hommes tout noirs fourgonnant dans de grands fourneaux et remuant des rivières de feu. — La gloire de Lota, l’orgueil des Chiliens, c’est le parc et son château. Et de fait, vus de la mer, ils sont tous deux d’un bel effet. Les clochetons d’ardoise, et la muraille blanche surgissant le long d’un promontoire effilé par le flot, prenaient au moment où nous abordâmes une sorte d’apparence mystérieuse grâce à une musique qui, partant du petit manoir, arrivait jusqu’à nous, affaiblie par la distance. C’est la señora qui donne une fête, dit-on autour de nous. C’était en réalité un bataillon qui défilait au pied de la colline, cuivres en tête. Au Chili comme dans les autres républiques de l’Amérique du Sud, on est