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successivement sur trois ou quatre matières différentes pour lui voir acquérir son maximum de solidité et d’éclat.

La question de la population avait déjà, depuis cent cinquante ans, donné lieu à bien des recherches et à bien des dissertations. Sans parler des vivans, il faut au moins citer, parmi les fondateurs de la démographie française, Deparcieux, Expilly, Messance, Moheau, au XVIIIe siècle, et, au XIXe siècle, Dufau, Ach. Guillard, Ad. Bertillon, et les chefs de la statistique générale de France. Mais personne jusqu’ici, ni chez nous, ni ailleurs, n’avait embrassé le sujet dans son intégralité et exposé méthodiquement la suite des destinées d’une race depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’époque actuelle, en analysant à tous les points de vue le jeu des évolutions qui viennent sans cesse en modifier l’économie intérieure. L’œuvre de M. Levasseur est, par l’ampleur de son p.an comme par la solidité de ses matériaux et la puissance de son architecture, un véritable monument.


I

La démographie est avant tout une science d’observation, et l’observation, en cette matière, ne peut devenir féconde que si le champ dont elle dispose présente une étendue suffisante. L’extrême variété des vicissitudes humaines n’empêche pas la vie et la mort d’obéir à un certain nombre de lois générales ; mais elle oblige celui qui les veut dégager de l’apparent désordre des phénomènes ambians à faire parler les foules et non les individus. Pour cela, il lui faut nécessairement la coopération des administrations publiques, seules capables d’interroger tout un peuple à la fois. Nous avons aujourd’hui, pour nous instruire des mouvemens de la population, l’état civil et les dénombremens. Mais on sait que la pratique régulière de ces deux institutions s’est fait longtemps attendre et les aspirons démographes du bon vieux temps étaient à peu près réduits à deviner ou à inventer ce qu’ils voulaient enseigner aux autres.

Parmi les quelques recensemens dont l’antiquité nous a transmis le souvenir, plusieurs avaient été improvisés et les meilleurs ne semblent mériter qu’une confiance très relative. Dans celui des premiers-nés d’Israël par Moïse[1], l’addition laisse à désirer. Le roi David, à son tour, voulut se rendre compte numériquement de sa puissance militaire[2]. Il dit à son ministre de la guerre : — « Parcours toutes les tribus, de Dan jusqu’à Berchaba, et compte mon peuple pour que j’en sache le nombre. » — Joab aurait bien

  1. Livre des Nombres, ch. III.
  2. Deuxième livre des Rois, ch. XXIV.