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lors que le vin distillé n’était pas identique à l’eau, contrairement à la vieille opinion d’Aristote ; mais nos auteurs ne parlent nullement de l’alcool, quoique la connaissance de ce corps dût résulter presque immédiatement de l’étude des liquides distillés fournis par le vin.

Le plus ancien manuscrit qui renferme une indication précise à cet égard est l’un de ceux de la « Clé de la peinture, » écrit au XIIe siècle. J’ai déjà eu occasion de parler de cet ouvrage dans la Revue ; c’est une compilation de recettes techniques, provenant de diverses origines, surtout grecques et latines, avec quelques additions arabes. On ne saurait dire à laquelle de ces sources a été puisée l’indication relative à l’alcool. En fait, elle est contenue dans une phrase énigmatique, que j’ai réussi à déchiffrer. L’usage des mots énigmatiques ou cryptogrammes existe dans beaucoup de manuscrits du temps. On sait que la formule de la poudre à canon a été ainsi signalée par Roger Bacon, dans une phrase dont l’interprétation a donné lieu à bien des discussions. Une semblable manière de transmettre la tradition scientifique sous une forme précise, quoique intelligible pour les seuls initiés, quelque contraire qu’elle soit à nos usages scientifiques modernes, constituait pourtant un progrès véritable, par rapport au vague des anciennes formules symboliques. Je demande la permission de reproduire ici la phrase même du vieux texte, afin de donner au lecteur une idée plus complète du problème historique relatif à l’alcool et de sa solution. La voici : De commixtione puri et fortissimi xknk cum III qbsuf tbmkt cocta in ejus negocii vasis fit aqua que accensa flammam incombustam servat materiam.

Cette recette n’offre aucun sens à première vue ; mais ces mots cryptographiques peuvent être interprétés d’après une convention dont on rencontre quelques applications dans les manuscrits des XIIIe et XIVe siècles. Il suffit de remplacer chacune des lettres des mots par celle qui la précède dans l’alphabet. On trouve ainsi : xknk = vini ; qbsuf = parte ; tbmkt = salis, et le passage peut être traduit (en rectifiant quelques fautes grammaticales du copiste) de la manière suivante :

« En mêlant un vin pur et très fort avec trois parties de sel, et en le chauffant dans les vases destinés à cet usage, on obtient une eau inflammable, qui se consume sans brûler la matière (sur laquelle elle est déposée). »

Il s’agit dès lors de l’alcool. Cette propriété de brûler à la surface des corps, sans les brûler, avait beaucoup frappé les premiers observateurs.

Une autre indication plus explicite est contenue dans le livre