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triche aurait l’appui de la triple alliance, — si l’Allemagne elle-même, selon le mot pittoresque de M. de Bismarck, se croirait obligée de risquer les os d’un Poméranien sur la route des Balkans et de Sofia.

Reste parmi ces alliés l’Italie, qui est pour le moment tout entière à ses élections. Le ministère Giolitti a pris son temps pour préparer son scrutin. Aujourd’hui, c’est décidé. D’ici à peu de jours les élections seront faites, et avant la fin du mois, le nouveau parlement sera réuni à Monte-Citorio. Depuis quelques semaines déjà, la campagne électorale est engagée de toutes parts. Discours et lettres se succèdent. Ministres du jour, ministres d’hier ou ministres de demain, tout le monde a parlé : le ministre de la guerre, le général Pelloux, à Livourne, le ministre des affaires étrangères, M. Brin, à Turin, le ministre des postes, M. Finocchiaro, en Sicile. D’un autre côté, le garde des sceaux du ministère Crispi, M. Zanardelli, prononçait récemment un très éloquent discours à Iseo. Le chef du dernier cabinet, M. di Rudini, s’est contenté d’une lettre adressée à ses électeurs, — et le ministre des finances du cabinet Rudini, M. Colombo, avait ouvert la campagne à Milan, par un sévère exposé financier. Le président du conseil enfin, M. Giolitti lui-même, va parler ces jours-ci à Rome, et M. Crispi se prépare à haranguer ses Siciliens. Ce qu’il y a de curieux et de caractéristique dans cette mêlée, c’est la confusion où sont tombés les partis italiens. À proprement parler, gauche ou droite, les partis n’existent plus au-delà des Alpes. Ils n’ont plus ni organisation, ni discipline, ni programmes, ni politiques bien distincts. Au fond de tout, il n’y a qu’une question, la question financière qui se lie elle-même à la question des alliances et des armemens. Tout est là, — et comme parmi les hommes de toutes les nuances, la triple alliance n’est même pas mise en doute, il ne reste plus qu’à trouver le moyen de suffire aux déficits, à l’état militaire qu’on a créé. C’est une affaire d’expédiens ! par exemple, il y a un sentiment assez général, c’est que, si on ne peut pas diminuer les dépenses militaires, on ne doit pas y ajouter. C’est dans ces conditions que s’ouvre cette lutte électorale où le ministère de M. Giolitti peut sans doute trouver une majorité, même une grosse majorité, mais une majorité sans cohésion, comme celle que M. Crispi avait eue avant lui, — pour tomber le lendemain. Ce n’est pas une solution ; ce n’est visiblement que la suite d’un état de transition d’où l’Italie ne peut sortir que par une politique plus libre, plus décidée, s’inspirant de ses plus sérieux intérêts d’avenir.


CH. DE MAZADE.