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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre.

Voici, dans notre vie publique française semée de tant d’inconséquences et de contradictions, un phénomène qui n’a peut-être rien de nouveau, qui se reproduit au contraire invariablement et qui n’est pas moins curieux.

Tous les ans, quand vient l’été, après une session qui dure depuis plusieurs mois déjà, qui le plus souvent s’est passée en interpellations, en débats décousus, en agitations vaines et quelquefois en crises ministérielles plus stériles que tout le reste, le moment arrive où l’on s’aperçoit qu’on n’a rien fait, ou à peu près, et qu’on ne peut plus rien faire. On a excédé l’opinion de cet éternel spectacle d’une impuissance agitée. On a laissé s’accumuler les affaires les plus sérieuses qu’on ne peut plus traiter utilement, et qu’on est réduit à ajourner. On a tout remué, tout brouillé, on ne s’y reconnaît plus. La lassitude gagne le parlement comme l’opinion, et les vacances apparaissent comme un dénoûment momentané dans une situation sans issue, comme un expédient opportun de la saison, qui tire tout le monde d’embarras, qui clôt la représentation, — et laisse au pays le temps de respirer. La séparation des chambres est un vrai soulagement : on en a pour trois mois de repos. Voilà qui est bien ! Mais pendant ces bienheureux trois mois promis au repos, à mesure qu’on s’éloigne du jour de la séparation des chambres, d’autres incidens renaissent, — des crises de travail, des manifestations tumultueuses, des revendications menaçantes, tout ce qui peut raviver l’incertitude. Ceux qui ne vivent que d’agitation et qui ne peuvent se résigner à cette paix publique, chère au pays, se remettent à l’œuvre, saisissant tous les prétextes. Des municipalités socialistes, plus bruyantes que nombreuses sans doute, mais encore passablement bruyantes, se moquent de toute légalité et organisent la sédition. Des ouvriers du Nord, excités par toutes les propagandes et flattés dans leurs passions aveugles, chassent les ouvriers étrangers au mépris des lois internationales.