pour effet d’en rendre la complexité plus difficile à reproduire, elle n’en fait pas évanouir la réalité. Mais ce qu’on aurait aimé que M. Paul Bourget nous développât de préférence, c’est sa définition du « roman psychologique » et de la « psychologie. »
Car, il nous a bien dit que l’objet de ce genre de roman était « de reproduire les mille tragédies taciturnes et secrètes du cœur, d’étudier la genèse, l’éclosion et la décadence de certains sentimens inexprimés, de reconnaître et de raconter les situations d’exception, les caractères singuliers, enfin tout un détail, inatteignable par le roman de mœurs, lequel doit, pour rester fidèle à son rôle, éviter précisément ce domaine de la nuance, et poursuivre le type à travers les individualités, les vastes lois d’ensemble à travers les faits particuliers. » Mais nous aurions voulu quelque chose de plus précis encore, et nous craignons que M. Bourget n’ait défini plutôt là le roman d’exception, que le « roman psychologique. » Nous sommes déjà plus près de nous entendre avec lui quand il revendique pour le roman psychologique un droit propre et particulier de poursuivre « sur la vie intérieure et morale » une enquête analogue et parallèle à celle que le roman de mœurs poursuit « sur la vie extérieure et sociale. » Si nos actions extérieures ne sont jamais, en effet, — comme nos sentimens et comme nos sensations, — qu’un total, une combinaison ou un système d’actions plus élémentaires ; si notre conduite nous est souvent dictée par des principes ignorés de nous-mêmes ; et si nos résolutions enfin, par toutes leurs racines, plongent, pour ainsi parler, dans les profondeurs de l’inconscient, l’objet du roman psychologique est d’explorer ces profondeurs ; de nous révéler à nous-mêmes ces principes secrets de nos actes ; et là enfin où nous n’avions vu qu’un ensemble, de le décomposer en ses élémens. Dimisit invitus invitam : c’est tout le sujet de la Bérénice de Racine. Comment, par quelle succession d’états d’âme, alternatifs et contradictoires, par quelle métamorphose, par quelle opération du dedans, ou quelle intervention du dehors, deux amans, qui ne le voudraient pas, se décident cependant à se séparer l’un de l’autre, voilà l’objet des observations de la « psychologie, » qui peut, comme on le voit, n’avoir rien d’exceptionnel, et elle aussi, par conséquent, sous des faits particuliers, découvrir ou retrouver ce qu’on appelle « des lois d’ensemble. » Nous soumettons cette définition à M. Paul Bourget. À défaut d’autres avantages, elle en a deux au moins sur la sienne. Elle fait rentrer le roman psychologique dans la définition sociale de l’art, en ne le réduisant pas à la représentation des singularités, laquelle mènerait infailliblement à la peinture des monstruosités : je prends ce dernier mot dans son sens propre et étymologique. Elle promet à un genre de roman que l’on a taxé quelquefois d’étroitesse un avenir comme illimité, puisque son progrès se lie manifestement à celui de la complexité croissante de la vie. Mais elle a pour nous un