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REVUE LITTERAIRE

LA TERRE PROMISE

Amusante pour les sceptiques, c’est une chose vraiment attristante, inquiétante même pour les autres, que l’incapacité de la critique, — telle que les journaux nous l’ont faite, — je ne dis pas à exprimer elle-même, ou à discuter, mais à comprendre seulement des idées. Nous venons d’en avoir une preuve nouvelle dans l’accueil qu’elle a fait à la Terre promise, le dernier roman de M. Paul Bourget. Non pas assurément que M. Paul Bourget ait le droit de s’en plaindre trop haut ; et il passerait pour trop exigeant. Généralement même, on a senti, si peut-être on ne l’a pas assez dit, que l’on se trouvait en présence d’une œuvre d’une autre envergure, — ou d’une autre carrure, pour ainsi parler, que la Rôtisserie de la reine Pédauque, par exemple ; en présence aussi d’une œuvre d’une autre portée, mais surtout d’une autre qualité d’esprit que la Débâcle elle-même. On a donc loué, comme il convenait, la simplicité de l’intrigue, l’originalité des caractères, le pathétique profond d’un drame tout intérieur, la générosité, la noblesse, la hauteur de l’inspiration. J’y ajouterais volontiers, pour ma part, l’art curieux, subtil et savant, avec lequel M. Paul Bourget mêle ensemble la description des lieux et l’analyse aiguë des états d’âme de ses personnages. L’analyste en lui se double d’un peintre ou d’un poète, et si le premier, comme nous le dirons, ne s’est jamais montré plus pénétrant, — non pas même dans le Disciple ou dans Mensonges, — le second, ayant lui-même rarement éprouvé des sensations plus exquises, les a rarement mieux rendues. Et pourquoi, dès à présent, ne le féliciterais-je pas, dans ce dernier roman, d’avoir abjuré le culte un peu