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celles qui lui conviennent le mieux. Quelque chose de véritablement extraordinaire a paru dans le monde


Lorsque l’âme anxieuse eut habité les corps.


Dès lors l’animal qui veut changer, et qui croit gagner au changement, existait, et, comme dit très bien Quinet, se mouvait non-seulement dans l’espace, mais dans le temps. Si une si énorme différence existe, sans parler des autres, entre l’homme et les animaux, que nous apprendront les animaux sur nous ? Car, remarquez, c’est le secret de l’histoire, c’est, partant, le secret des variations de l’homme que vous demandez à qui ? À ceux qui ne varient point. Où vous conduirait cette considération, si vous la poussiez ? ce serait non à établir une nouvelle philosophie de l’histoire, mais à nier qu’il y en ait une. À vous suivre, pour ainsi parler, plus loin que vous n’allez, on dirait, ce me semble : « l’homme est un animal ; l’animal ne change jamais, sinon quand l’espèce change, se métamorphose elle-même ; donc l’homme ne change point. Il croit changer. Il y a pour lui, pour lui seul, par illusion personnelle, des apparences de changemens dans son état. Il est en réalité toujours le même. Il ne change qu’à disparaître, qu’à se transformer en une autre espèce très différente. Mais ceci n’est plus de l’histoire, mais de la préhistoire ou de la posthistoire. Dans les limites de l’histoire, l’homme ne change point. Il n’y a point de processus, il n’y a point de courbe, de graphique historique. La philosophie de l’histoire n’existe pas. » Conséquence extrême de l’objection que Quinet reconnaît juste, adopte et fait lui-même ; conséquence que, ce me semble bien, acceptait Buffon, où je ne laisse point d’incliner ; conséquence, en tout cas, qui eût dû bien faire réfléchir Quinet sur le système, ou, au moins, la méthode qu’il embrassait avec tant de confiance.

Mais si l’espèce animale, telle que nous la connaissons, ne change point, les récentes hypothèses des naturalistes nous invitent à croire qu’au cours du temps illimité les espèces ont changé, se sont transformées les unes en les autres, ont évolué d’origines très éloignées de l’état actuel aux formes sous lesquelles nous les voyons de nos yeux. Transporter les lois de l’évolution du domaine de l’histoire naturelle au domaine de l’histoire humaine est donc possible, légitime peut-être et raisonnable. Il faut faire une distinction. Qu’une loi qui est une nécessité pour tout être vivant, comme la tendance à la persévérance dans l’être, comme la lutte pour la vie et la survivance du fort, qu’une loi qui est telle que, si elle n’existait pas, l’être cesserait d’être, soit reconnue comme régissant l’homme aussi bien que les animaux, cela sans doute est