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vain pourrait-on dire que le vœu de la France était contraire à l’établissement par la force d’une religion nouvelle. Oui, sans doute, sur la question religieuse « tous les cahiers se résument par ces mots : Concilier la liberté nouvelle avec le catholicisme et avec l’ancienne royauté[1] ; » mais la question n’est point de savoir si telle était la volonté du pays, mais si l’histoire permet qu’une révolution ne soit pas religieuse, et qu’une révolution religieuse ne soit pas violente. Or, précisément, contre tous les principes, la révolution française a été violente sans être religieuse. Alors à quoi bon être violente ? Ne vous y trompez point, c’est pour cette raison que les hommes ont maudit la Terreur. Ce n’est pas en tant que Terreur qu’ils la détestent, mais en tant que Terreur ne s’appliquant pas aux choses où elle est légitime, en tant que Terreur hors de son domaine naturel, en tant que Terreur hors de son emploi, en tant que Terreur dévoyée. Appliquée à la fondation d’une religion nouvelle, elle n’eût ni étonné, ni scandalisé : « Robespierre et les jacobins qui ont eu l’audace de décimer une nation n’ont pas eu l’audace de fermer avec éclat le moyen âge. Leurs violences sont ainsi sans proportions avec l’idée ; elles n’en sont que plus intolérables. Les massacres de Moïse n’ont point nui au judaïsme, ni ceux de Mahomet au Coran, ni ceux du duc d’Albe au catholicisme, ni ceux de Ziska et d’Henri VIII à la réforme… Les hommes même sans loi, pris en masse, se sont toujours montrés démens pour ceux qui ont versé le sang au nom du ciel. Ils ne gardent leurs sévérités que pour ceux qui, en versant le sang humain, n’ont su y intéresser que la terre[2]. » — Telle est la grande erreur, la grande fausse direction de la révolution française. À la différence de toutes les autres, elle a été relativement libérale en questions religieuses. Au fond, c’est le fanatisme qui lui a manqué. La durée si courte de ce grand bouleversement social ne s’explique que trop par l’absence de fanatisme vrai et profond : « Ce qui est rare, c’est de persévérer dans la première ardeur, de ne pas se laisser abattre par sa propre victoire ; or, c’est ce qui a manqué le plus aux hommes de la révolution. Une si grande fureur s’est dévorée elle-même… Après cet immense fracas, le silence universel ; un éclat formidable, et presque aussitôt un oubli complet de soi-même et des autres. Il semble d’après cela que les révolutions soutenues d’un esprit religieux soient les seules qui n’usent pas les forces humaines[3]. » — Tel était Quinet dans cette période qui va de 1842 à 1865. Son mysticisme doux et tendre

  1. Révolution, VI, 7.
  2. Ibid., XVI, 7.
  3. Ibid., VI, 14.