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imposant souvenir, c’est seulement à la fin du XIVe siècle que le célèbre prévôt des marchands, Hugues Aubriot, l’ami malgré lui des terribles maillotins, fit voûter le cloaque où s’accumulaient les ordures des halles. Beaucoup plus tard, sous Henri IV, un autre prévôt des marchands, François Miron, fit recouvrir l’égout du Ponceau qui roulait ses fanges entre la rue Saint-Denis et la rue Saint-Martin. Donnant un exemple toujours trop peu suivi, ce généreux magistrat paya de ses deniers les dépenses de cette utile construction. Chaque période, chaque règne, ajouta quelques tronçons épars à cette œuvre à peine commencée. Sous Louis le Grand, il n’y avait encore que deux kilomètres d’égouts couverts. En 1824, le docteur Parent-Duchâtelet, l’un des premiers que préoccupa l’hygiène morale et physique de la capitale, n’en trouvait à mesurer que 37 kilomètres. Le roi Louis-Philippe fit plus. C’est sous son règne que les premiers collecteurs de la rive droite, remplacés depuis par les constructions grandioses que nous connaissons, furent établis et conduits jusqu’à la Seine. Un premier plan de branchemens secondaires fut arrêté, mais ne reçut qu’un commencement d’exécution. On a pu voir encore, au milieu de ce siècle, les eaux sales de toute provenance circuler librement sur la voie publique, pour se rassembler dans le ruisseau unique, ménagé au milieu de la chaussée, et d’où chevaux et voitures faisaient jaillir, au grand dommage des boutiques et des passans, d’innombrables éclaboussures. Plus d’un d’entre nous, dans sa jeunesse, a pu dire ce que disait déjà Boileau :


Guénaud, sur son cheval, en passant m’éclabousse,
Et n’osant plus paraître en l’état où je suis,
Sans songer où je vais, je me sauve où je puis.


Le choléra de 1832, celui de 1849, comparables en leurs meurtriers ravages aux pestes célèbres du moyen âge, donnèrent de cruelles, mais utiles leçons à la population parisienne et à ses gouvernans. On commença à comprendre intuitivement, peut-être, que le meilleur moyen de combattre les fléaux était de les prévenir par l’hygiène et la propreté. Un décret de 1852, presque contemporain de celui relatif aux canalisations d’eau, prescrivit la construction des trottoirs, la peinture des façades, et prohiba l’écoulement à ciel ouvert des eaux pluviales et ménagères. C’était poser le principe d’un réseau souterrainement parallèle à celui des voies publiques, et devant servir à l’accomplissement de ces fonctions humiliantes, mais nécessaires de l’organisme, que la cité a, comme le citoyen, le devoir et l’instinct de dissimuler aux yeux. La distribution des eaux pures, l’éloignement des eaux souillées,