Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les pages seraient les haltes où ils se raccorderaient, reprendraient haleine, se remettraient à l’unisson.

Lorsqu’ils se furent assis, l’un en face de l’autre, à la table du cabinet de travail, les premières minutes furent graves, silencieuses, recueillies ; puis les plumes coururent. Son feuillet rempli, Paul attendit. Qu’allait-il sortir, tout à l’heure, du rapprochement de leurs deux textes ? Ce rêve de collaboration n’allait-il pas s’écrouler dès l’abord ? Que serait-il de leur tentative, peut-être, autre chose qu’une puérilité charmante d’amoureux ?

Marie allait, plus lente que lui, par des à-coups que suivait une immobilité pensive ; un pli droit alors coupait son front qui s’assombrissait. Ensuite, une détente graduelle survenait ; le front reprenait sa surface unie, d’une blancheur de marbre, presque lumineuse. Enfin elle s’arrêta. Sans lever les yeux sur elle, Paul prit la feuille, qu’elle poussait vers lui en s’accoudant. La tête penchée sur la table, il embrassa toute la page, d’un regard. Cela lui était ainsi qu’une lettre inquiétante qu’il eût voulu connaître d’un seul coup, avec une crainte pourtant de savoir trop vite. Il cueillait des mots çà et là, entrait dans cette page ainsi qu’un baigneur frileux, pour entrer dans l’eau, s’éclabousse d’abord de gouttelettes. Il se reprit, concentra son attention, lut les lignes lentement. Bientôt un étonnement se montra, puis une joie, une émotion. Et jusqu’à la fin cette émotion alla grandissant.

La lecture achevée, il demeura un moment sans parler ; puis, tendant à Marie, qui attendait, un peu rouge, le cœur battant, le feuillet que lui-même avait écrit :

— Vois ! dit-il ; c’est la même chose.

Elle regarda. Les deux feuillets en effet, issus d’une même inspiration, étaient presque identiques. La même ordonnance avait présidé à la marche des idées ; et ils avaient présenté pour ainsi dire sous les mêmes angles les aspects divers des choses.

Un émoi singulier les laissa béans, attendris, si troublés qu’ils ne reprirent point ce jour-là leur travail. Ils étaient trop remplis d’une joie nouvelle, trop hantés par les merveilleuses visions de l’avenir pour s’en arracher aussi vite et pour dominer de leur volonté le mouvement tumultueux de leur pensée. Ils remirent au lendemain. Une appréhension en même temps commençait de se faire jour. Ils eurent à la fois l’impatience et l’angoisse du labeur qui suivrait. L’expérience n’était point faite encore suffisamment ; l’épreuve définitive n’était point franchie. Ils s’inquiétaient qu’il pût n’y avoir, en cet étonnant accord de leurs textes, qu’une coïncidence fortuite et qui ne se renouvelât plus. Ils avaient tant parlé de leur sujet ! Ils s’étaient si bien concertés sur le plan et sur la déduction logique des situations ! Sans doute, ils n’avaient fait que