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campagne s’était organisée, l’automne dernier, pour mettre le gouvernement en demeure de dénoncer l’Union, au nom du devoir de faire reprendre à la France sa liberté d’action. Cet argument, qui aurait pu avoir une apparence de valeur pendant la durée de la dernière convention, est devenu une puérilité, depuis que l’Union ne subsiste que d’année en année, et que la France est toujours maîtresse d’y mettre fin dès qu’elle le jugera à propos. On a invoqué aussi le patriotisme qui commanderait d’accroître notre trésor de guerre en faisant rentrer au plus tôt dans les caves de la Banque de France les 200 millions en or que la Belgique et l’Italie auraient à nous payer pour l’excédent de leurs écus sur les nôtres, lors de la liquidation. Ces chiffres, purement hypothétiques, reposent sur des calculs qui remontent à plus de six ans, et dans cet espace de temps les situations ont pu se modifier. La Belgique et l’Italie auraient une année pour établir leur compte, et ensuite cinq années pour s’acquitter de la somme mise à leur charge. Cela ferait 40 millions par an, et il suffit d’une bonne année où la balance du commerce nous soit favorable, pour que l’encaisse or de la Banque s’accroisse d’une somme plus considérable. Les écus italiens et belges qui reposent dans les caves de la Banque ne représentent-ils pas de l’or, de l’or à terme, il est vrai, mais ce terme est dénonçable à la volonté de la France. Supposons les 200 millions effectivement réalisés en or et remis à la Banque, quels services la communauté commerciale en retirera-t-elle qui ne lui soient rendus, comme garantie de la circulation fiduciaire, par les écus d’argent qu’ils auront remplacés ? Ces 200 millions d’or, enlevés au marché européen, ne lui feront-ils pas faute et les embarras actuels n’en seront-ils pas aggravés ?

Il est impossible d’apercevoir quel inconvénient l’Union latine peut avoir pour la France. Ses détracteurs eux-mêmes reconnaissent qu’à l’origine elle a procuré des avantages sérieux à tous les contractans en leur assurant les plus grandes facilités pour leurs échanges internationaux. Peut-on faire fi de ces avantages, maintenant que les rapports commerciaux des pays associés se sont accrus et fortifiés par une longue pratique ? L’Union rompue, ne faudra-t-il pas que la France traite les écus de ses anciens associés comme elle fait aujourd’hui de ces beaux écus du Chili, si bien frappés et absolument semblables aux nôtres par le poids et le titre ? Voilà les écus belges, italiens et suisses arrêtés à notre frontière, et nos écus frappés du même ostracisme ; se figure-t-on le trouble profond qui en résulterait dans les relations de tous les jours, et le concert de plaintes légitimes qui s’élèverait de toutes parts ? Tandis que la Prusse travaille assidûment à introduire en Allemagne son régime monétaire, la France se dépouillerait des avantages qu’elle