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tandis que nous avons ainsi tous les avantages de l’or, nous n’avons pas les inconvéniens de sa rareté ; nous ne souffrons pas du manque de monnaie. D’autre part, l’on a vu, à Paris comme à Bruxelles, les cours du change presque invariables, et la Banque de France en mesure d’aider la place de Londres… C’est donc un grand avantage que le maintien de l’Union latine. »

Il est impossible de faire ressortir avec plus de force et de clarté les heureux effets du pacte qui unit les cinq États confédérés. Venons maintenant à l’Italie. L’éminent économiste qui tenait encore au commencement de cette année le portefeuille des finances, M. Luzzatti, répondant à une interpellation de M. Rossi, disait, dans la séance du sénat italien du 26 janvier 1892 : « C’est une fiction que l’Union latine, mais une fiction opportune et une fiction efficace, puisqu’elle a pu donner à environ 4 milliards d’écus d’argent la sanction de l’or. Nous avons ainsi réussi à tresser autour de l’or, qui fait défaut, une couronne d’argent qui, grâce aux fictions établies, conserve la valeur de l’or… La conservation de l’Union latine n’a pas seulement exercé son effet dans les limites du territoire auquel elle s’applique, mais dans le monde entier. Combien de fois n’a-t-on pas entendu proposer, en Allemagne, la vente des thalers ou l’adoption d’un monométallisme plus rigide, sans que ces propositions aient abouti ? Et pourquoi ? Parce que, là aussi, on regarde ce que font les autres. Et la conservation de cette Union qui permet artificiellement à de nombreux millions d’hommes de donner à l’argent la valeur de l’or, et qui fait ainsi moins sentir les inconvéniens de la rareté de celui-ci, fait qu’on s’abstient de prendre une initiative qui pourrait être l’exorde d’une grande catastrophe monétaire. »

Le mot de catastrophe qui s’est trouvé presque simultanément dans la bouche de M. Beernaert et de M. Luzzatti est-il une exagération ? Sur 4 milliards en écus de 5 francs qui circulent sur le territoire de l’Union latine, les statisticiens estiment que les écus français comptent pour 3,100 millions. Ne tenons pas compte des progrès que la dépréciation de l’argent a faits depuis vingt ans, et mesurons par les effets attribués à la démonétisation d’un demi-milliard de monnaies allemandes les conséquences inévitables de la démonétisation d’une masse d’écus six lois supérieure ; et le langage des deux ministres nous paraîtra justifié. Nous comprendrons que le plus fort ciment de l’Union latine se trouve dans la communauté et l’étendue du péril dont elle préserve tous les intéressés, et comme c’est sur la France que retomberaient, et les plus lourds sacrifices et la plus violente perturbation, nous ne nous expliquerons pas que l’Union latine puisse trouver en France des adversaires. Il en est cependant ainsi, et une