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dont la Suisse ne tarda pas à s’apercevoir. Rien n’était plus facile, dans la zone frontière, que de se procurer des pièces suisses de deux francs du nouveau titre et de les échanger en France contre des pièces françaises au titre de neuf dixièmes de fin, dont on aurait retiré un dixième d’argent pur avant de les faire remonnayer en Suisse, et cette opération fructueuse aurait pu se renouveler indéfiniment au détriment de la France qui se serait vue envahie par une monnaie divisionnaire inférieure à la sienne. Le gouvernement français y coupa court en interdisant aux caisses publiques de recevoir désormais les pièces divisionnaires suisses ; la Banque de France et les établissemens de crédit les repoussèrent également, et leur exemple fut bientôt suivi par les particuliers. La Belgique et l’Italie, dont les monnaies étaient au même titre que les monnaies françaises, prirent des mesures analogues. Il en résulta un grand trouble dans les relations de la Suisse avec ses voisins, et des deux côtés de la frontière le commerce de détail ne tarda point à se plaindre.

Ces plaintes ouvrirent les yeux aux gouvernemens et aux particuliers et leur firent mesurer de quels avantages ils avaient joui, sans les apprécier et peut-être sans s’en rendre compte. La domination de Napoléon, bien que passagère, avait eu pour conséquence d’établir l’uniformité des monnaies dans toute l’étendue de son vaste empire : des bouches de l’Escaut au détroit de Messine, on rencontrait partout les mêmes monnaies, frappées au même titre, et l’on n’avait de change à supporter nulle part. Au contraire, passait-on le Rhin : on rencontrait en Allemagne huit systèmes monétaires différens, et l’on avait fait le calcul que, sans solder aucun achat ni aucune dépense, par le seul effet des huit changes qu’il était possible de lui faire subir, en territoire allemand, une pièce de vingt francs, changée pour la première fois à Bade, pouvait être presque entièrement absorbée avant l’arrivée à Berlin. Les États occidentaux, par des atteintes individuelles au régime dont ils avaient éprouvé les avantages, allaient-ils dériver, à leur tour, vers l’anarchie monétaire ?

On put l’appréhender quelque temps, lorsqu’au bout de dix-huit mois seulement, on vit l’Italie, par les mêmes motifs que la Suisse, décider à son tour, par la loi du 24 août 1862, l’affaiblissement de sa monnaie divisionnaire, mais en adoptant un titre supérieur à celui des monnaies helvétiques, le titre de 835 millièmes de fin, qui est le titre des monnaies divisionnaires de l’Angleterre et des États-Unis. Puis ce fut le tour de la France, qui, par la loi du 25 mai 1864, adopta le titre de 835 millièmes de fin, mais seulement pour les pièces de 0 fr. 50 et de 0 fr. 20, sans