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France en avait reçues, que par conséquent il n’y avait pas lieu d’agir. Cette conclusion n’avait lieu de surprendre que les gens qui ne prenaient pas la peine de réfléchir. L’or ne se dépréciait pas, malgré son abondance soudaine, parce qu’il satisfaisait à un besoin impérieux d’une nation riche et populeuse. Avant 1848, lorsqu’il n’y avait en France ni or ni billet de banque au-dessous de 500 francs, le modeste employé qui touchait 300 francs au bout du mois avait à emporter chez lui un poids d’un kilogramme et demi pour lequel aucune poche n’était ni assez grande ni assez solide. L’or de la Californie venait donc combler à propos une lacune de notre circulation : il venait occuper une place vide.

La sage temporisation du gouvernement français mérite d’autant plus d’éloges que l’afflux de l’or coïncidait avec une raréfaction temporaire de l’argent qui pouvait faire illusion, et qui explique l’erreur où plusieurs États étaient tombés. Les relations commerciales de l’Europe avec l’extrême Orient n’avaient cessé de se développer depuis que les portes de la Chine avaient été ouvertes à coups de canon, et les affaires avec les Orientaux ne pouvaient se régler qu’en argent. L’exportation de l’argent s’accrut dans des proportions considérables lorsque, par suite de la guerre civile des États-Unis, l’Europe dut demander à l’Égypte, à l’Inde, à l’Indo-Chine les matières premières que la république américaine ne lui fournissait plus et, en première ligne, le coton. Les arrivages d’argent étant insuffisans, l’Angleterre dut s’adresser au continent, et les pièces de cinq francs de la Belgique, de la France, de la Suisse furent activement recherchées pour être fondues et transformées en roupies ou en lingots : bientôt ces opérations s’étendirent jusqu’aux pièces de deux francs, qui furent mises au creuset. Grâce à son énorme approvisionnement en monnaie d’argent et à la diffusion de la monnaie d’or, la France n’éprouva point de ces faits une gêne appréciable ; cependant, le gouvernement essaya de mettre un terme à ces opérations en faisant revivre une ancienne loi qui interdit sous des peines sévères de fondre les monnaies nationales, et des poursuites furent instituées contre des commerçans en métaux. La Suisse, moins bien pourvue de numéraire que la France, souffrit davantage, et la disparition de la monnaie divisionnaire y apporta un trouble notable dans les petites transactions. Le gouvernement fédéral pensa que le plus sûr moyen de protéger la monnaie divisionnaire contre la fonte était d’en affaiblir le titre de façon à faire disparaître le bénéfice de l’opération. Une loi du 31 janvier 1860 abaissa à huit dixièmes la proportion de l’argent dans la frappe des pièces divisionnaires.

La mesure était efficace, mais elle avait un inconvénient grave,