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et l’argent, et qui avait reçu l’assentiment implicite de la plupart des autres nations, notre siècle a vu s’accomplir à quelques années d’intervalle, et en sens inverse l’une de l’autre, deux révolutions monétaires presque égales en importance à celle qui a suivi la découverte de l’Amérique. Le commerce universel se ressent encore de la double secousse qu’en ont éprouvée toutes les transactions, ainsi que des fluctuations rapides autant que considérables qu’ont subies les valeurs de toute nature.

Pendant la première moitié de ce siècle, l’Angleterre a été le seul pays où les affaires se réglassent en or et qui possédât une quantité assez considérable de ce métal pour suffire à toutes les transactions. En France, sous le gouvernement de juillet, en dépit de l’incontestable richesse et de la prospérité du pays, l’or était invisible : il ne s’en trouvait que chez les changeurs à qui il fallait l’acheter moyennant une prime qui oscillait entre 0,60 et 1 pour 100, mais qui s’élevait très vite, dès qu’il s’agissait d’un besoin un peu considérable. La découverte des gisemens aurifères de la Californie a changé cette situation, comme par un coup de la baguette des fées : l’or arriva en abondance en Europe, surtout dans les pays riches comme la France, et vint frapper à la porte de tous les hôtels des monnaies. Bientôt après, les mines de l’Australie, bien qu’exploitées par les procédés les plus primitifs, rivalisèrent avec la Californie pour l’exportation du précieux métal, dont la production se trouva brusquement décuplée. On s’alarma de cette abondance extrême : on pensa que de pareilles masses d’or ne pouvaient être incessamment déversées sur l’Europe, sans déprécier la valeur de ce métal. Le cri d’alarme fut jeté ici même par un économiste éminent, chez qui la science n’avait pas affaibli la vivacité de l’imagination. Il demanda, comme une mesure urgente et de toute nécessité, la démonétisation immédiate de ces pièces d’or qui commençaient à peine à circuler : tout retard devait avoir pour conséquence une perte considérable pour l’État et pour le public. Il pouvait, du reste, invoquer à l’appui de son argumentation la conduite de quelques États qui, par une hâte inconsidérée qu’ils eurent sujet de regretter, s’empressèrent de démonétiser leurs pièces d’or.

Malgré l’exemple que lui donnaient ces États, et notamment la Hollande et la Belgique, le gouvernement français appréhenda d’apporter trop de précipitation en cette grave affaire : il voulut prendre conseil des faits, et renvoya l’étude de la question à une commission d’enquête. Celle-ci procéda avec la lenteur caractéristique des commissions françaises, et conclut à l’ajournement de toute mesure. Elle constatait, dans son rapport, que l’or n’avait subi aucune dépréciation, malgré les quantités considérables que la