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dans les lettres et dans les arts. Mais lorsque lord Tennyson va à Westminster, il est accompagné du sentiment national, ce n’est point une vulgaire manifestation de parti. Malheureusement, en France, tout est manifestation de parti ou de secte. Une simple question : Si M. Ernest Renan n’était pas l’auteur de la Vie de Jésus et n’avait pas aiguisé ses polémiques contre le dogme, contre la divinité du Christ, s’il s’était borné à être un des premiers écrivains du siècle, aurait-on songé à le porter au Panthéon ? De sorte que, sous prétexte de relever un penseur, on ne songe réellement qu’à mettre le sceau de l’esprit de secte sur l’homme et sur le monument. Voilà de beaux honneurs pour les morts illustres !

La politique, disions-nous, ne fut jamais favorable pour M. Renan, qui n’y a jamais brillé ni par ses candidatures ni par ses idées. Aussi bien, qu’irait faire un homme comme lui dans les banalités et les contradictions de la politique de nos jours ? Il s’y perdrait sans être même écouté, il y serait dépaysé, à moins qu’il ne bornât son ambition à vouloir figurer dans un sénat, comme le disait un jour ce précieux esprit dans une saillie d’ironie, « pour avoir, — sans tarder peut-être, — de belles occasions de se faire assommer, fusiller… » M. Renan, avec ses goûts nobles, aurait préféré un « beau trépas » sur une chaise curule, à la mort par la vulgaire maladie : il n’était pas dégoûté ! Il oubliait seulement qu’il voyait un peu la politique en artiste, et que dans ces scènes d’invasions brutales où un sénateur risque de « se faire assommer, » il y a toujours une autre victime, le pays, qui, lui, ne périt pas, mais qui porte longtemps la marque de ces sanglans excès de multitudes déchaînées. Heureusement, on n’en est plus là, ou on n’y est pas revenu, et nos assemblées, notre sénat, notre chambre des députés, qui vont se réunir dans trois jours, n’ont pas sans doute à redouter d’avoir à soutenir des assauts dans leurs palais. On n’en est pas provisoirement à ces sombres perspectives. Il n’est pas moins vrai que depuis quelque temps, il y a, comme on dit, du trouble dans le royaume de Danemark, — que l’incohérence s’accroît dans la politique du moment, que, loin de se simplifier et de se fixer, tout se complique encore une fois et a l’air de se détraquer dan& nos affaires intérieures.

Chose étrange ! ce n’est point que la situation générale du pays semble en elle-même menacée, exposée à ces crises qui naissent de la force des choses, de la tension des esprits. Jamais les apparences n’ont été plus rassurantes. L’instinct public n’est certes point pour toutes ces agitations ou ces excentricités révolutionnaires dont on cherche à l’étourdir. Les partis, las de combattre, désarment et font leur paix avec les institutions. M. de Mackau lui-même, un des anciens chefs de l’opposition conservatrice, vient de se rallier à la république après bien d’autres. Les paroles de prudence et de conciliation tombées du