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commune, j’ai retrouvé cette question brûlante, insoluble tant qu’on n’en viendra pas à une transaction équitable. Le paysan n’est pas si sot qu’il soit dupe de ce leurre, l’instruction gratuite offerte par l’État. Il sait que rien n’est gratuit en ce monde. Aussi longtemps que l’État n’aura pas trouvé la pierre philosophale, tout ce qu’il donnera sera payé tôt ou tard par le contribuable. Le paysan sait qu’il paie deux fois : d’abord, par contrainte, pour des écoles dont il ne veut pas ; ensuite, spontanément, quoiqu’en maugréant, pour les écoles dont il veut. Et il paie fort cher, ce qu’il ne pardonne pas. On a fait grand. Dans les moindres villages de la montagne, un bâtiment neuf, relativement somptueux, attire d’abord le regard : c’est l’école communale. À Villeneuve-de-Berg, un architecte ingénieux a dépensé 80,000 francs pour bâtir son palais scolaire sur des arcades dans un bas-fond. Il s’effrite déjà, en un morne abandon. Je n’en finirais pas de citer tous les exemples semblables qui me reviennent à la mémoire. Il faut payer en plus l’instituteur, l’institutrice. On aurait mauvaise grâce à lésiner sur ce beau luxe, si ces écoles étaient pleines. Elles sont aux trois quarts vides. Presque partout, la population demeure réfractaire, elle entretient tant bien que mal et remplit les écoles des sœurs. Les années passent sans vaincre sa résistance. J’ai sous les yeux le rapport officiel pour l’exercice 1889-1890. Le relevé total donne 4,970 enfans aux écoles laïques, 8,058 aux écoles congréganistes. Voici la proportion dans plusieurs grosses communes : Le Cheylard, 92 enfans à l’État et 333 à l’école libre ; Saint-Martin, 29 contre 192 ; Saint-Étienne-de-Lugdarès, 22 contre 140 ; Berrias, 32 contre 143 ; Saint-Victor, 23 contre 271 ; Satillieu, 14 contre 184 ; Préaux, 10 contre 120. Ce sont les écarts normaux. Trois communes accusent 0 pour l’école laïque. Notez qu’à cette date les laïcisations les plus difficiles n’étaient pas encore opérées ; et les chiffres officiels, en admettant même qu’ils ne soient majorés nulle part, portent sur des inscriptions d’office et non sur des états de présence.

L’expérience condamne une tentative qui avait sa grandeur ; grandeur que je reconnaîtrais plus volontiers, si l’on ne s’abritait pas derrière des équivoques, si l’on avouait franchement qu’on a voulu instituer la lutte au nom d’une idée philosophique. Avait-on le droit d’essayer cette épreuve ? Y a-t-il utilité à la poursuivre ? Ce n’est pas ici le lieu de vider un aussi grand débat. Je me borne à indiquer le rapprochement qui me venait l’autre jour à l’esprit, dans l’auberge où le commis-voyageur et le maître d’école tombaient d’accord sur la nécessité « de républicaniser ce pays qui en est encore au XVe siècle. » Mes voisins avaient certainement