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comme c’est le cas dans la plupart de ces localités. La répartition.des indemnités d’inondation, par exemple, a donné lieu à des iniquités que les victimes ne pardonneront pas de longtemps. — Je tâche, en tout ceci, de faire la part des exagérations que l’on entend des deux côtés ; je n’ai pour cela qu’à me souvenir des Commentaires du soldat du Vivarais et autres récits semblables de nos anciennes querelles. Nous sourions aujourd’hui de la naïve injustice avec laquelle les gens des deux partis se jugeaient réciproquement. L’homme n’ayant pas changé, il est probable que les réquisitoires dressés par les partis contemporains paraîtront à l’historien aussi excessifs. Mais, cette correction faite, je ne pense pas me tromper en avançant que nos républicains du Midi ne négligent rien pour rendre la république désagréable, souvent inhabitable, à ceux qu’ils accusent de la repousser.

Voilà pour les difficultés de personnes. La difficulté de principe gît tout entière dans la question religieuse. Cela est si vrai que le langage courant en témoigne avec sa transparence habituelle. Dans mon enfance, pour désigner les deux partis qui luttent sur notre sol depuis cent ans, on disait toujours dans le Midi : les blancs et les rouges. Aujourd’hui, ces appellations n’ont plus cours. On dit : les catholiques et les républicains ; ou, si l’on veut être plus précis et plus juste : les catholiques et les francs-maçons. Je n’aborderai pas ici un problème de psychologie très difficile ; je ne rechercherai pas quelle est la valeur intrinsèque du sentiment religieux chez nos paysans vivarois. Je me borne à constater un fait, dans ses rapports avec la situation politique. Instinct, conviction raisonnée ou habitude, nos populations demeurent, en majorité, fermement attachées à leurs coutumes religieuses. L’indifférence, et parfois l’hostilité, ont gagné du terrain dans la vallée du Rhône, dans les petites villes du bas pays ; les cantons montagnards tiennent bon. C’est la seule de leurs anciennes traditions qui survive ; la seule aussi qui soit maintenue par une force active, organisée.

Dans cette démocratie rurale, où nous avons constaté la disparition de tout ce qui crée et entretient les influences individuelles, deux forces restent en présence, en balance : l’administration, le clergé. Il serait malaisé de décider quelle est la plus puissante. On sait le prestige et l’omnipotence de l’administration française dans un pays éloigné, pauvre, morcelé, parmi des populations campagnardes qui n’ont aucun contrepoids à lui opposer. Le plus mince agent de l’État est un personnage auguste, dispensateur de bienfaits ou de maux sans nombre. Mais cette absence de contrepoids grandit dans la même proportion le rôle du clergé. Le prêtre est la seule autorité morale, le seul directeur d’esprits de la plupart des paroisses. Fût-il personnellement médiocre, il a derrière lui la