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ou la définition du péché originel diffère, parmi les protestans, de celle qu’en donnent les théologiens et la tradition catholiques. Je le voudrais, mais je n’ose, et je renvoie le lecteur aux très beaux Traités du savant Palmieri, par exemple, ou du cardinal Mazzella. Ce qui toutefois ne paraît pas douteux, c’est qu’en faisant essentiellement consister la faute originelle dans « la concupiscence, » et ses suites dans une propension « toujours actuelle » à mal faire, luthériens et calvinistes, ils peuvent bien avoir mal interprété les textes, et d’ailleurs aggravé sans droit la condition assez misérable de l’homme, mais ils ont singulièrement fortifié le ressort de la vie intérieure. Nos optimistes eux-mêmes, et nos épicuriens ne sauraient le nier. Être toujours en garde contre soi, savoir que nos pires ennemis, les seuls que nous devions vraiment craindre, sont au dedans de nous, et traiter en tout temps la nature comme « un état de maladie, » si la doctrine est dure, elle est haute, et, pour peu qu’on réussisse à la dépouiller de ce qu’elle contracterait aisément d’égoïste, on n’en conçoit point de plus féconde en vertus. Les protestans de France l’ont autrefois prouvé. Tout autour d’eux, tandis que l’idée de la bonté de la nature s’infiltrait, s’insinuait, cheminait, se faisait jour jusque dans la prédication de Massillon ou dans le Télémaque de l’archevêque de Cambrai, nos protestans, eux, continuaient de croire que nos premiers devoirs sont contre nous-mêmes, et ils parlaient toujours, ils agissaient, ils vivaient en conséquence.

Que s’ils eussent couru par hasard le risque d’oublier ce qu’ils devaient à leur dogme et à leur origine, c’est le moment de dire que leurs persécuteurs se fussent chargés de les y rappeler. On ne sait pas assez qu’en révoquant l’édit de Nantes, Louis XIV, mal informé, n’avait cru rien faire de plus que d’homologuer, si je puis ainsi dire, un résultat acquis. Bottés ou non, ses convertisseurs lui avaient persuadé que, dans une France « toute catholique, » à peine quelques fanatiques professaient-ils encore le protestantisme, et, en vérité, depuis plus de vingt ans que l’on enlevait tous les jours aux protestans quelqu’un des droits de tous les Français, on comprend qu’il l’ait cru. Mais ce genre de persécutions n’avait eu pour effet, comme toujours, que d’exalter, en l’épurant, la foi passionnée des victimes. Quelques-unes avaient pu succomber, — toutes celles précisément qui n’étaient pas capables de résister aux séductions vulgaires, à l’appât des pensions ou des charges, — mais les autres, dans cette longue lutte, avaient contracté je ne sais quelles vertus plus hautaines, plus farouches, plus sombres. Et quand enfin ils avaient vu le prince qui les persécutait au nom de « la vraie religion, » passer de La Vallière à Montespan, de Montespan à Fontanges, et les aimer toutes