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commencé par les traités de Westphalie et des Pyrénées. J’ose dire seulement qu’en politique, c’est l’événement qui juge les conceptions, et le succès seul qui condamne ou qui justifie les desseins. Mais, de n’avoir pas senti ce qu’il y avait de force ou de vertu morale dans le protestantisme ; d’avoir sacrifié, si je puis ainsi dire, au rêve d’une unité tout extérieure, purement apparente et décorative, la plus substantielle des réalités ; de n’avoir pas compris que, tout ce que l’on entreprenait contre le protestantisme, on l’accomplissait au profit du « déisme, » comme disait Bayle, ou du « libertinage, » voilà qui est plus grave, et voilà ce que l’on ne saurait trop reprocher à la mémoire de Louis XIV. De Dunkerque à Bayonne, et de Brest à Besançon, pour la satisfaction métaphysique de n’entendre louer Dieu qu’en latin, il a vraiment détruit le nerf de la moralité française ; et, en chassant les protestans, appelé l’épicurisme même au secours de sa monarchie.

Intolérans et orgueilleux, difficiles à manier, chagrins et moroses, méprisans et austères, affectant la religion jusque dans leur costume, les protestans ne possédaient pas moins, en effet, les vertus dont ces défauts étaient comme l’enveloppe, et, grâce à elles, on peut dire que depuis plus d’un siècle ils représentaient la substance morale de la France. Ils le devaient à leurs origines. Car, au lieu de se convertir comme en masse au protestantisme, si la France du XVIe siècle était demeurée catholique, — la France des Valois et des Médicis, la France de Rabelais et de Ronsard, — il y en avait eu d’autres raisons, je le sais, mais aucune de plus forte ni de plus décisive que l’horreur du génie français, facile, aimable, et insouciant, pour la sévérité morale du dogme calviniste. On avait eu peur, et on avait reculé. Il en était résulté que, tandis qu’ailleurs, en Allemagne ou en Angleterre, la réforme avait surtout agité des passions politiques ou théologiques, sa propagande, en France, avait pris surtout un caractère moral, et la minorité protestante s’était ainsi formée, groupée, serrée autour de l’idée de la rénovation des mœurs. La persécution avait fait le reste. En 1685, dans la France de Louis XIV, les protestans, écartés des tentations par les mêmes mesures qui les éloignaient des emplois, se dressaient, comme un enseignement vivant, par l’ardeur de leur foi, par leur constante préoccupation du « salut, » par leur éloignement des plaisirs faciles, par la dignité de leurs mœurs, par la raideur même enfin et la fierté de leur attitude.

Une conviction les soutenait, — dont on a vu que Bayle lui-même n’avait pas pu ou voulu s’affranchir, — la conviction de la perversité native ou de la « malice originelle » de l’homme. Je sortirais de mon sujet, et je mettrais étourdiment le pied sur un terrain que je connais mal, si j’essayais, à ce propos, de dire en quoi la notion