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Ne dirait-on pas qu’il se met sur les rangs, encore qu’il approche de la soixantaine ? Mlle de La Force suivit le conseil du bonhomme. Elle prit pour devise, « un navire agité des flots, sans pilote, sans mâts et sans voile, avec ce mot : Quo me fata vocant ? » Les destins l’entraînèrent du côté du Temple, où les Vendôme, en compagnie des La Fare et des Chaulieu, tenaient, comme l’on sait, académie de débauche, et, estimant avec l’autre que, sans argent, l’honneur est une maladie, elle s’y échoua. Il ne lui restait plus qu’à se faire femme de lettres, et, en effet, c’est alors qu’elle écrivit ses romans. Mais en même temps qu’elle en écrivait, comme elle en vivait d’autres, et de plus scandaleux, le roi, dans sa bonté paternelle, crut devoir lui faire proposer ou de sortir de France ou de s’enfermer, pour mille écus de pension, dans un couvent de son choix. Mlle de La Force prit le second parti, qu’elle dut tenir onze ou douze ans, de 1702 à 1713. On lui permit alors de reparaître à Paris, où elle mourut obscurément en 1724.

La vie d’Henriette-Julie de Castelnau, comtesse de Murat, petite-fille, elle aussi, de je ne sais quel maréchal de France, n’est pas moins intéressante, — je veux dire moins déréglée, — ni par conséquent moins instructive pour nous. C’est encore une femme auteur, et elle s’est elle-même racontée dans ses Mémoires. En voici le début : « Ce n’est point, dit-elle, pour me justifier que j’entreprends d’écrire mon histoire ; il y a longtemps que Dieu m’a fait la grâce de regarder les bruits injurieux qu’on a répandus de moi dans le monde comme une punition de ma vanité, et, à cet égard, je me soumets à la conduite de la Providence, trop heureuse de me sentir innocente de tout ce que la calomnie m’a imputé, mais malheureuse en même temps d’avoir perdu le mérite de mon innocence, par les scandales auxquels je n’ai que trop donné occasion. » Elle nous apprend alors, qu’étant âgée d’environ douze ans, et déjà curieuse de jouir « de la gloire de soumettre un homme à ses lois, » elle noua, du fond de son couvent de province, une intrigue avec un gentilhomme qu’elle désigne sous le nom de marquis de Blossac. Mais les religieuses, qui veillaient, et sa noble famille, avertie, les ayant séparés, elle résolut de se soustraire à un joug odieux, et elle se fit enlever… par un autre, qui l’épousa. Ce n’était point encore le comte de Murat. Comme d’ailleurs ce premier mari « préférait le vin et la bonne chère à tous les autres plaisirs » et qu’il avait le vin brutal, les « mauvais traitemens obligèrent la jeune femme » à quitter le château conjugal ; et, voyez la médisance ! « un gentilhomme, dont elle était aimée, ayant profité de la circonstance pour l’enlever, » ne s’avisa-t-on pas de croire dans le monde « qu’elle avait quitté son mari pour suivre un amant ? » Mais on se trompait bien ; car aussitôt qu’elle eut établi