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est contradictoire aux deux idées qui commencent de poindre dans les Parallèles, si même on ne doit dire qu’elles en sont intérieurement le support : ce sont celle du Progrès à l’infini, d’une part, et de l’autre, celle de la Fixité des lois de la nature. La contradiction vaut sans doute la peine que l’on cherche à s’en rendre compte, si c’est là, dans ce qu’elle semble avoir d’irréductible, qu’il faut chercher l’explication ou la vraie cause de l’hostilité que l’esprit général du XVIIIe siècle, dès ses débuts, allait manifester contre le christianisme.

Nous prenons aujourd’hui la religion par sa poésie ; nous la prenons par sa morale ; nous la prenons encore plus habituellement par son utilité sociale. Mais les gens de ce temps-là la prenaient, eux, par le dogme, et, de tous les côtés, il semblait que le dogme retînt ou bridât l’essor de l’idée de progrès. L’auteur des Pensées le sentait-il peut-être, quand, aux espérances démesurées du cartésianisme, qui promettait à l’homme de l’exempter un jour « d’une infinité de maladies », de l’affaiblissement de la vieillesse, et de la mort même, il opposait la dureté de sa foi janséniste ? ou Bossuet, plus humain, mais non moins inspiré, quand il s’efforçait de faire, comme nous l’avons dit, du dogme de la Providence, le rempart et le fort du christianisme[1] ? Je le croirais volontiers. Mais sans nous enfoncer avec eux dans les obscurités de la théologie, je veux dire sans examiner s’il n’y aurait pas quelque moyen de concilier, sous une unité plus haute, l’apparente opposition du dogme de la Providence avec la fixité des lois de la nature, ou du dogme du péché originel avec l’idée de la perfectibilité indéfinie, il peut nous suffire, il doit même nous suffire, — à nous qui ne faisons ici que de l’histoire, — de montrer que ce moyen, les hommes du XVIIIe siècle ne l’ont pas entrevu. Je consens qu’ils n’aient correctement interprété ni l’un ni l’autre dogme. Mais quand ils s’en seraient fait des idées entièrement conformes à la tradition de l’Eglise, il resterait ceci, qu’étant elle-même une conception de la vie, une solution donnée d’en haut au problème de la destinée, la religion n’en permet une recherche nouvelle qu’autant que l’on s’engage d’avance à conclure comme elle ; — et, en ce cas, que devient le progrès intellectuel ? Si, d’un autre côté, l’originalité propre du christianisme n’est qu’accessoirement d’avoir mis la morale dans la religion, puisque le judaïsme l’avait fait avant lui, ou d’avoir gravé dans la conscience des hommes le sentiment de leur solidarité, puisqu’on a pu soutenir que la philosophie de la Grèce et de Rome y serait arrivée sans lui ; si son œuvre propre est d’avoir transporté l’objet de la vie hors

  1. Voyez dans la Revue du 1er août 1891 : la Philosophie de Bossuet.