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janséniste. Pour concilier sa piété nouvelle avec ses anciens goûts littéraires, il écrivait donc le matin des pamphlets contre Port-Royal, et le soir il rimait des poèmes épiques généralement chrétiens : Marie-Magdeleine, ou le Triomphe de la grâce, et Clovis, que nous citions. C’est ce que Voltaire exprime à sa manière, en disant quelque part que « Desmarets, sur la fin de sa vie, fut plus connu par son fanatisme que par ses ouvrages. »

Voltaire se trompe, et Voltaire est ingrat ; car enfin, c’est l’auteur de Clovis et de Marie-Magdeleine, qui lui a conquis à lui-même, l’auteur de la Henriade, le droit d’user en français du « merveilleux chrétien. » Formé, en effet, comme presque tous les hommes de sa génération, à l’école de l’Italie, et nourri aux exemples de cette Jérusalem délivrée dont on ne saurait exagérer l’influence sur la littérature française du XVIIe siècle commençant, c’est Saint-Sorlin le premier qui a secoué le joug de l’imitation de l’antique, et réclamé pour le poète, quelque cent ans avant Chateaubriand, le droit de mêler ensemble, pour ainsi dire, ses croyances et ses plaisirs. Boileau lui répondit dans le troisième chant de son Art poétique. Desmarets, alors âgé de près de quatre-vingts ans, répliqua par une Défense de la poésie française. Puis, sentant approcher la mort, il adjura l’un de ses jeunes amis, fonctionnaire comme lui, Charles Perrault, de ne pas laisser tomber la querelle :


Viens défendre, Perrault, la France qui t’appelle ;
Viens combattre avec moi cette troupe rebelle,
Ce ramas d’ennemis qui, faibles et mutins,
Préfèrent à nos chants les ouvrages latins.


Perrault, qui avait toute sorte de raisons pour déférer au vœu de Desmarets, n’eut garde, comme l’on sait, d’abandonner une si belle cause. Louvois venait précisément alors de lui faire des loisirs. L’ancien « contrôleur des bâtimens » revint aux lettres, qu’il avait toujours aimées, et, coup sur coup, il fit paraître : en 1686, son Saint Paulin, six chants, dédiés à Bossuet ; en 1687, son Siècle de Louis le Grand, — où, pour le dire en passant, il ne serait pas impossible que Voltaire eût pris la première idée du Siècle de Louis XIV ; — et, de 1688 à 1697 enfin, ses Parallèles des anciens et des modernes.

Je n’en retiens pour le moment que ce qui touche à la littérature, et, — si j’ose ainsi parler, posant la question plus haut que ne l’avait fait Perrault, mais de telle manière que tous ses argumens continuent de s’y rapporter ou d’y converger comme à l’objet de leur démonstration, — je dis qu’il ne s’agissait de rien de moins que de savoir si l’on suivrait ou non, longtemps encore, l’impulsion donnée