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trompe, à l’avoir signalé dans son Histoire des idées littéraires en France au XIXe siècle.

Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’insister sur Colletet ; mais Pascal, — nous l’avons dit ailleurs, — ne devait pas persévérer dans ces idées, ou même, après les avoir énoncées, il devait plutôt les combattre[1]. Quant à Bacon, on le verra, son influence, non-seulement en France, mais en Angleterre même, n’a commencé vraiment de se faire sentir que dans les premières années du XVIIIe siècle. N’ajouterons-nous pas que, pour que ces grandes idées, qui équivalent de fait à une conception totale de la vie ou de l’univers même, se dégagent du vague de leur indétermination primitive, se concrètent, en quelque manière, se précisent, et enfin deviennent actives, il y faut, avec beaucoup de temps, tout un ensemble de conditions dont les plus insignifiantes en apparence ne sont pas toujours en réalité les moins considérables ? C’est justement le cas de l’idée de progrès. Entrevue par les uns, ébauchée même par les autres, elle n’avait pas, jusqu’au XVIIIe siècle, d’existence philosophique. On l’entrevoyait plutôt qu’on ne le concevait. Elle flottait dans l’air sans que personne eût essayé de se l’approprier. Mais elle ne devait définitivement prendre forme qu’en se mêlant à cette Querelle des anciens et des modernes, si vaine aux yeux de quelques historiens de la littérature, si ridicule même ; et ainsi, ce que n’avaient pu ni Bacon, ni Pascal, ni Descartes, une discussion de collège allait l’opérer en moins de dix ou douze ans. C’est ce que je vais essayer de montrer.

Dans la première moitié du XVIIe siècle, vivait à Paris un singulier personnage, que ses fonctions de « contrôleur-général de l’extraordinaire des guerres, » et de « secrétaire de la marine du Levant » n’empêchaient point d’être passionné de bel esprit et de littérature. On l’appelait Desmarets, et il se nommait de Saint-Sorlin. Vers ou prose, roman ou théâtre, comédie, tragédie, madrigal, épopée, critique ou théologie même, il travaillait dans tous les genres ; et cette remarquable variété d’aptitudes lui avait valu d’être choisi par Richelieu pour l’un de ses auteurs à gages. Si d’ailleurs son roman d’Ariane ou son poème de Clovis sont aujourd’hui parfaitement illisibles, sa comédie des Visionnaires a passé pour « inimitable » pendant un quart de siècle, et, sans parler des emprunts que Molière y a faits, la lecture en est intéressante encore, — pour les curieux. Après une jeunesse « libertine, » Desmarets, encore vert, était devenu « dévot, » mais non pas

  1. Voyez dans la Revue du 15 novembre 1888, Jansénistes et Cartésiens. Ajoutez que ce fragment n’a été publié qu’en 1779, par Bossut, dans son édition des Œuvres de Pascal.