La loi, en ce temps, est très vive et prend une puissance singulière dans l’énergie des caractères. Les hommes ont des rapports constans avec le curé de la paroisse à cause de la fréquence des sacremens de toutes sortes qui se répètent dans la vie d’un chrétien. Le curé connaît personnellement chacune de ses ouailles, et celles-ci aiment et vénèrent leur curé. Il est, en vérité, le père spirituel de ses paroissiens et jouit, à ce titre, non-seulement de leur confiance, mais d’une grande autorité. Le père temporel est le roi. Le roi est représenté parmi les Parisiens par le lieutenant-général de police, que les placets des particuliers nomment parfois « père temporel. »
Ces brèves considérations étaient nécessaires, non-seulement pour faire comprendre les causes profondes qui ont fait se développer les lettres de cachet dans le milieu qui les a connues, mais encore pour en faire comprendre la disparition, et la chute même de l’ancien régime.
Car cette société subit une transformation progressive et de plus en plus marquée dans le courant du XVIIIe siècle. Le mouvement se précipita durant les vingt ou trente années qui précèdent la révolution. Il se fit sentir dans toute la nation et dans les hautes sphères du gouvernement d’où partaient ce que l’on va nommer les « ordres arbitraires. »
Louis XIV, le dernier souverain qui ait eu le sentiment du rôle traditionnel du roi de France, s’occupait encore en personne, avec beaucoup de soin, des dossiers qui concernaient les lettres de cachet de famille ; le régent ne s’en occupe plus guère, Louis XV ne s’en occupe plus du tout. Nous avançons dans le XVIIIe siècle ; les ministres en viennent à se décharger de ce soin sur leurs intendans et sur le lieutenant de police, et ceux-ci bientôt sur leurs subdélégués et leurs commis.
D’ailleurs l’institution des lettres de cachet, comme tout ce qui est humain, engendrait par elle-même de grands abus, et peut-être plus qu’une autre, à cause de la place prépondérante laissée à l’opinion personnelle des hommes chargés d’en faire l’application et à cause des procédures entièrement secrètes dont elle s’entourait.
En 1713, un garde du corps, Du Rosel de Glatigny, « gentilhomme de l’Isle de France, » écrivit au ministre, demandant un ordre pour faire enfermer Marie Du Rosel, sa fille, âgée de dix-neuf ans, dans une maison de force de Paris. Il exposait que celle-ci