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rang. Nous restons une année et demie sans nouvelles. Le 4 novembre 1752, le marquis de Briqueville écrivit à Berryer pour le prier de lever l’ordre d’exil qui pesait sur Bunel. Celui-ci, disait-il, n’avait cessé de se comporter comme un excellent sujet, n’avait jamais encouru le moindre reproche, et ses chefs avaient à cœur de lui donner de l’avancement, ce qui n’était pas possible tant qu’il était sous le coup d’une lettre de cachet. Au billet du marquis de Briqueville en est joint un autre signé du capitaine commandant la compagnie où Bunel est engagé : — « Monsieur, écrit-il au lieutenant de police, vous m’avez fait l’honneur de me promettre, lorsque vous auriez une lettre de M. de Briqueville, que vous lèveriez les deux lettres d’exil d’Antoine Lachambre et de Bunel. Permettez-moi d’avoir l’honneur de vous supplier de m’accorder la levée de celle de Bunel. J’ose vous assurer que c’est un très bon sujet, qui se comporte à merveille depuis deux ans qu’il est au régiment, que tous ses supérieurs en sont très contens, et l’on désire de le faire sergent dès que la lettre d’exil sera levée, que moi, en mon nom, je me charge de veiller à sa conduite, de vous avertir exactement si, contre mon attente, il venoit à manquer aux obligations qu’il vous aura. Enfin, monsieur, c’est une grâce que je vous demande avec instance. » — La dernière pièce du dossier est un rapport du lieutenant de police au comte d’Argenson, ministre de Paris : — « Le nommé Toussaint-François Bunel a été relégué à la suite du régiment de Briqueville, par ordre du roy du 21 mars 1751, parce que c’est un libertin qui vivoit avec une fille qu’il faisoit passer pour sa femme, qu’il a volé du linge aux États de Bretagne et qu’il a fait un autre vol à M. d’Houvant, garde-cuisine de M. le président de Boulainvilliers. Comme il s’est très bien comporté depuis qu’il est dans ce régiment et que M. de Briqueville demande son rappel, ayant à dessein de le faire sergent, M. le comte d’Argenson est supplié de faire expédier un ordre nécessaire à cet effet. » — Ce rapport porte en apostille, de la main du ministre : — « Bon pour le rappel, 3 décembre 1752. » Pour comprendre la portée de cette courte monographie, il faut connaître les sévérités des tribunaux de ce temps, que les philosophes ne cessent de signaler et dont Voltaire parle en ces termes : — « Ils étoient les conservateurs d’anciens usages barbares contre lesquels la nature effrayée réclamoit à haute voix. Ils ne consultoient que leurs registres rongés des vers. S’ils y voyoient une coutume insensée et horrible, ils la regardoient comme une loi sacrée. C’est par cette raison qu’il n’y avoit nulle proportion entre les délits et les peines. On punissoit une étourderie de jeune homme comme on auroit puni un empoisonnement ou un