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Nous les verrons caractériser, d’une manière inattendue peut-être, un état social dont le nôtre est sorti, bien qu’il en soit déjà très différent. C’est sur les lettres de cachet de famille délivrées à Paris, sous l’ancien régime, que nous voudrions arrêter un instant l’attention du lecteur.

Une seconde erreur est de croire que l’expédition d’une lettre de cachet fût dépourvue de toute procédure et de formalités.

Voici l’histoire d’un ordre du roi, tirée un peu au hasard de l’un des nombreux dossiers conservés dans les archives de la Bastille ; nous la raconterons avec détail, car elle a l’avantage de montrer, d’une manière assez vivante, non-seulement quelle était la procédure suivie par l’administration, mais l’esprit dont celle-ci s’inspirait, le but qu’elle poursuivait et les résultats qu’elle obtenait parfois.

Vers la fin de l’année 1750, Berryer, lieutenant-général de police, recevait les plaintes de Marie-Adrienne Petit, épouse de François Ollivier, gantier-parfumeur établi à Paris, rue de la Comtesse-d’Artois. Depuis que ce dernier avait fait la connaissance d’une jeune couturière, nommée Marie Bourgeois, qui logeait rue Saint-Denis-aux-Bats, tout allait sens dessus dessous, dans son intérieur. La pauvre femme se disait méprisée, injuriée même par son mari, et les chalands désapprenaient le chemin d’une boutique où le patron ne faisait plus que de rares apparitions ; enfin, les économies que le ménage avait réunies étaient dépensées en parures pour la coquette fille à qui maître Ollivier ne pouvait plus rien refuser. Le lieutenant-général de police dépêcha l’un de ses commissaires, un nommé Grimperel, auprès de Marie Bourgeois avec charge de lui faire entendre raison. Grimperel lui fit un discours au nom du magistrat, — c’est le titre que les textes donnent au lieutenant de police, — qui représentait l’autorité royale, et lui fit défense de fréquenter à l’avenir le nommé Ollivier. L’avis était bon ; mais il entrait dans une tête légère : — « Cependant, elle ne cesse de le recevoir chez elle, écrit Mme Ollivier dans un second placet, ce qui cause beaucoup de désordre dans notre ménage et notre commerce, et il est facile de prévoir que si cela continue, il nous sera impossible de faire honneur à nos affaires. Ce considéré, monseigneur, j’ai recours à vous pour vous supplier de faire enfermer Marie Bourgeois. » — Ce placet au lieutenant de police est signé de Mme Ollivier et contresigné, détail important, a par le principal locataire de la maison où demeurait la jolie couturière, un nommé Charpentier. » — Le lieutenant de police mit l’affaire entre les mains de son secrétaire Chaban, qui était plus particulièrement chargé de l’examen de tout ce qui concernait l’expédition des ordres