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crime le gouvernement royal. Le roi, qui comptait sur les puissances pour le débarrasser de « l’homme de l’île d’Elbe, » s’indigna et repoussa le projet. Fouché, d’ailleurs, n’avait pas cessé de correspondre avec Talleyrand ; il lui écrivait tantôt directement, tantôt sous le couvert de Dalberg, qui avait été adjoint au prince comme second plénipotentiaire. Ce fut sur les instances de Dalberg que Metternich consentit à entrer en correspondance secrète avec Fouché[1]. Mais, partisan déterminé des Bourbons et absolument hostile à l’idée d’une régence, Metternich était fort éloigné de prêter la main aux machinations de Fouché et de Talleyrand. Sans doute la raison qui l’engagea à écrire au duc d’Otrante fut de se renseigner sur la véritable opinion des Français, dont on était assez préoccupé à Vienne.

En attendant que le congrès décidât du sort de Napoléon, Fouché s’était retiré dans son château de Ferrières, mais les révolutionnaires et les officiers qu’il avait facilement associés à ses projets ne cessaient pas leurs conciliabules. C’est ainsi qu’en octobre et en novembre, le bruit d’une conjuration militaire se répandit partout. À la fin d’octobre, on arrêta une trentaine d’officiers à la demi-solde et quelques gardes du corps, soupçonnés à tort ou à raison de comploter l’assassinat du roi et des princes. Ces rumeurs émurent les cabinets européens. Le tsar questionna Talleyrand. Lord Liverpool se montrait déterminé à rappeler Wellington, de peur que, s’il restait à Paris, les chefs de la conjuration ne le gardassent comme otage. « Il n’est pas douteux, écrivait-il le 4 novembre, qu’un mouvement ne menace d’éclater à Paris. Dans cette prévision, le roi doit prendre des précautions. La principale serait que les membres de la famille royale ne restassent pas tous ensemble à Paris, car le but des conspirateurs étant d’en finir avec la dynastie, ils ne tenteront rien si les Bourbons sont dispersés. Le salut d’un seul sera la sauvegarde de tous. »

L’alarme était grande aussi dans l’entourage du roi. On a vu que le soir du 30 novembre Marmont mit toute la garnison de Paris sous les armes. Ce déploiement de forces parut excessif, mais les appréhensions de Marmont n’étaient pas tout à fait chimériques. Son erreur fut de croire que la date de l’exécution du

  1. La lettre ou une des lettres de Metternich à Fouché lui posait ces trois questions : « Qu’arrivera-t-il : 1° si l’empereur reparaissait en France ? 2° si le roi de Rome se présentait à la frontière appuyé d’un corps autrichien ? 3° si rien de tout cela n’arrivait, mais qu’une révolution se fit toute seule ? » Fouché répondit : « Dans le premier cas, tout dépendrait d’un régiment ; s’il passait du côté de Bonaparte, l’armée suivrait. Dans le second cas, toute la France se déclarerait pour le roi de Rome. Dans le troisième cas, la révolution se ferait en faveur du duc d’Orléans. »