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ces mesures qu’on ne lui en voulait pour son arbitraire, sa courtisanerie et ses défis au sentiment national. Il avait interdit le séjour de Paris aux officiers sans emploi, traité odieusement Exelmans, donné des pensions aux Vendéens, mis à la demi-solde sept cents officiers de plus, fait une promotion de généraux entièrement composée d’émigrés et de chouans[1]. Il avait osé dire au général Travot : « — Je ne vous emploierai qu’après que vous aurez rendu vos biens d’émigrés. » Il venait enfin de porter l’irritation au comble en provoquant dans les régimens une souscription à peu près obligatoire pour ériger un monument à Louis XVI et en faisant nommer grand-chancelier de la Légion d’honneur le comte de Bruges, qui n’avait jamais commandé qu’un régiment noir à la solde de l’Angleterre. Puis, malgré les promesses et les circulaires du duc de Dalmatie, la solde arriérée resterait impayée. Chaque jour d’audience publique, les officiers à la demi-solde, qui s’autorisaient de l’acquittement d’Exelmans pour rester à Paris en dépit de l’ordre du 17 décembre, arrivaient en foule rue Saint-Dominique. Un jeudi de février, ils étaient plusieurs milliers. Leurs femmes braillaient : « Les gens qui ne manquent de rien veulent nous faire crier : Vive le roi ! nous crierons : Vive celui qui nous fera vivre et meurent tous ceux qui nous font crever de faim ! » Soult apostropha des officiers qui portaient encore des boutons à l’aigle : « — Quand le gouvernement nous aura payé ce qu’il nous doit, répliqua l’un d’eux, nous serons assez riches pour faire changer nos boutons. Jusque-là nous les garderons, car ils nous rappellent notre ancienne prospérité. »

Les nouvelles du congrès de Vienne avaient déterminé Louis XVIII à rappeler 60,000 hommes sous les drapeaux. Ce fut parmi les 100,000 déserteurs des classes 1814 et antérieures, portés comme « rentrés dans leurs foyers sans permission, » que l’on résolut de lever ce contingent. Ces hommes, il fallait s’y attendre, ne se prêtèrent pas de bon gré à leur réincorporation. Seuls, les individus qui avaient quelque motif de réforme à faire valoir se présentèrent aux revues d’appel. Ceux que l’autorité militaire retenait comme bons pour le service s’insurgeaient et bousculaient les gendarmes aux cris de : Vive l’empereur ! Les recrues de la Gironde disaient : « Avec la paix nous aimons mieux le roi, mais pour faire la guerre nous voulons Napoléon, qui marchera à notre tête. » À Avesnes, les rappelés allumèrent une sorte de bûcher et y placèrent le buste de Louis XVIII. À Trévoux, à Belley, à Sancerre, ils parcoururent

  1. Promotion du 30 décembre 1814 : Picquet Du Boisguy, de Frotté, de Malartic, d’Andigné, de La Prévallaye, Châtelain, dit Tranquille, de Rohan-Chabot, etc.