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d’enthousiasme, l’idée de donner des pensions « aux officiers et soldats des armées royales de l’Ouest, blessés pour la défense du trône. » Dès la fin de décembre, des commissaires se rendirent sur les lieux afin de voir les intéressés et de dresser les listes de propositions. Dans la Vendée, pays de vraie guerre plutôt que de chouannerie, les opérations s’effectuèrent avec assez de calme[1]. Mais en Normandie et en Bretagne, les anciens soldats des bandes royalistes furent reçus par la foule ameutée aux cris de : Mort aux chouans ! Il paraît, d’ailleurs, que ces survivans des guerres civiles ne payaient pas de mine. « Les hommes que j’ai vus, écrivait le vicomte de Ricé, préfet de l’Orne, ressemblent plus à des brigands qu’à des serviteurs dignes des bienfaits du roi. Leurs excès et leurs cruautés ont laissé les plus exécrables souvenirs dans le pays. Les grades et les pensions que l’on accorde à ces individus portent une atteinte funeste à l’opinion publique. »

À Rennes, Soult avait désigné comme commissaires du roi Picquet Du Boisguy, Desol de Grisolles et Joseph Cadoudal, — la fleur de la chouannerie. Entre tous les chefs de bandes, Du Boisguy avait laissé un exécrable renom. Outre les massacres de bleus désarmés, les pillages de voitures publiques, les incendies de chaumières, les extorsions d’argent en chauffant plus que de raison les pieds des récalcitrans, on lui attribuait certaines gentillesses d’un goût autrement relevé. Il avait, disait-on, fait enterrer vifs le même jour une centaine de soldats républicains, et il avait violé deux de ses cousines, suspectes de tiédeur royaliste, après quoi il les avait livrées à ses hommes pour les violer à leur tour et les égorger ensuite. Et c’était ce personnage dont Soult contresignait la nomination au grade de maréchal-de-camp et qu’il choisissait comme représentant du roi ! Le jour de leur arrivée à Rennes, les commissaires, impatiens de montrer leurs uniformes tout battant neufs, se rendirent au théâtre en grande tenue. À leur vue, les cris : A bas les assassins ! à la porte les assassins ! éclatent si violemment qu’ils sont contraints de quitter la salle. Les jours suivans, l’agitation s’accroît dans la ville et gagne les campagnes. « Non-seulement l’exaltation est grande dans la population, écrit à Soult le préfet d’Ille-et-Vilaine, mais elle existe aussi chez les prêtres et chez les nobles qui sont indignés de la présence de Du Boisguy. »

Le 10 janvier, jour indiqué pour la première séance de la commission, la foule se masse devant la préfecture. Les plus exaltés sont

  1. Sauf cependant à Challans, où des paysans et le piquet de hussards chargé de maintenir l’ordre assaillirent les Vendéens. Maire de Challans à préfet de la Vendée, 23 janvier. Préfet de la Vendée à Soult, 25 janvier. (Archives de la guerre.)