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Cosaque, ou à côté de saint Antoine, sous la figure de son traditionnel compagnon.

À l’unanimité de l’opinion avait succédé la contusion des opinions. Les uns pensaient au comte d’Artois, d’autres au duc d’Orléans, d’autres à la république, d’autres à la régence, à Napoléon, au prince Eugène. Mais royalistes, libéraux, jacobins, bonapartistes, tout le monde s’accordait à dire : « Cela ne peut pas durer[1]. »


II

Dès la première quinzaine d’août, l’opposition s’était comptée à la chambre des députés sur la question de la liberté de la presse. Après cinq séances fort animées, où les Parisiens passionnés pour cette discussion envahirent en foule les tribunes et l’hémicycle même, le projet du gouvernement portant rétablissement de la censure préalable ne fut voté que par 137 voix contre 80. Et les libéraux, paraît-il, espéraient une minorité plus nombreuse. À la chambre des pairs, le scrutin donna hl voix pour le rejet et 80 voix pour l’adoption. Les débats furent plus vifs encore qu’au Palais-Bourbon. Lanjuinais, Boissy d’Anglas, Cornudet, le maréchal Macdonald, le général de Valence, les ducs de Brancas et de Praslin combattirent ardemment le projet que défendirent avec non moins d’ardeur les ducs de Brissac, de La Rochefoucauld, de La Force, le comte de Ségur et Clarke, duc de Feltre. Ce dernier, à l’indignation de plusieurs de ses collègues, termina sa péroraison en citant le vieil adage monarchique : « Qui veut le roi, si veut la loi. »

Une discussion, sinon plus acerbe dans la forme, du moins plus grave et plus brûlante dans le fond, s’engagea peu de temps après sur le projet de loi relatif à la restitution des biens d’émigrés restés à l’État. En vertu de l’amnistie de l’an X, l’immense majorité des émigrés avait recouvré dès le consulat les biens non vendus, à l’exception toutefois des immeubles affectés aux services publics et des bois et forêts déclarés inaliénables par la loi du 2 nivôse an IV. C’étaient ces immeubles et ces forêts, d’une superficie totale

  1. « Tous les partis semblent s’accorder dans ce refrain : Cela ne peut pas durer. » D’Hauterive à Talleyrand, 25 septembre. (Correspondance de Talleyrand et de Louis XVIII, 139, note.) — « Tout le monde est mécontent et prêt à saisir l’occasion de faire n’importe quel changement. » Wellington à Castlereagh, Paris, 4 octobre. (Dispatches, Supplément IX.) — « L’opinion n’a jamais été si mauvaise qu’en ce moment. On entend partout répéter : Les Bourbons ne tiendront pas deux mois. » Rapport de police, 9 novembre. (Archives nationales, F7, 3739.) — « Tout le monde disait : Cela ne peut pas durer. » Mme de Staël, Considérations sur la Révolution, III, 80.