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magistrats de l’empire, avec les grands commandemens laissés aux lieutenans de Napoléon, avec des révolutionnaires nommés pairs de France et des régicides maintenus à la cour de cassation, n’était pas la royauté. Louis était-il remonté sur le trône des Bourbons pour adopter les institutions de la république et de l’usurpateur, pour couvrir de son manteau fleurdelisé les crimes et les iniquités de vingt-cinq années ? La modération du roi confondait toutes les idées des émigrés et décevait toutes leurs espérances. Ils avaient un gouvernement qu’ils qualifiaient « d’anarchie révolutionnaire, » tandis qu’ils attendaient « un gouvernement réparateur, » c’est-à-dire « une épuration générale, » la destitution en masse des fonctionnaires, le licenciement de l’armée et sa reconstitution en régimens provinciaux commandés par les anciens condéens et les héros de la Vendée, l’abolition des divisions départementales, le rétablissement des provinces et de leurs anciennes franchises, la suppression des chambres, de la liberté de la presse, de la Légion d’honneur, la restauration des parlemens, la dénonciation du concordat, la restitution des biens d’église et des biens nationaux, — avec ou sans indemnité aux acquéreurs, suffisamment indemnisés par vingt années d’usufruit, — la simple tolérance des cultes dissidens sans salaire à leurs ministres, la réintégration des nobles dans la plupart de leurs privilèges, la réorganisation complète du clergé afin qu’il reprît son rang et son influence dans l’État. En résumé, ce que voulaient les émigrés, c’était la royauté absolue, la contre-révolution, la rétablissement des trois ordres, le retour au régime de 1788. Villèle, dans une brochure adressée aux députés de son département, concluait ainsi : « Revenons à la constitution de nos pères, à celle qui rendit la France heureuse et florissante. Les parties de notre ancienne organisation qui ont souffert nous coûteront moins à réparer que les nouvelles institutions ne coûteraient à établir. » Et le marquis de Chabannes disait au roi : « — Quelques années d’un despotisme absolu, voilà quel sera le baume salutaire. » De plus exaltés encore demandaient que le retour à l’ancien régime fût inauguré par le bannissement d’un bon nombre de révolutionnaires et par le supplice ou tout au moins par la déportation des régicides.

Or, non-seulement le gouvernement de Louis XVIII allait à l’encontre des théories politiques des royalistes et de leurs vœux de représailles, mais il ne faisait rien ou presque rien pour eux-mêmes. L’admission dans la Maison militaire, où la solde était fort peu élevée, quelques pensions sur la cassette royale, quelques emplois dans l’armée, des centaines de croix de Saint-Louis et des milliers de décorations du Lys ne compensaient pas aux yeux des émigrés